Tunisie : Les régions et l’espoir d’intégration aux dynamiques économiques nouvelles

Par : Autres


hzargouni230.jpgA l’ère du numérique dont les piliers sont la transparence et la confiance, à
l’ère de la communication de masse basée sur la liberté et la responsabilité,
l’appropriation de la “chose publique“, de l’action politique notamment par les
jeunes est salutaire. Car très longtemps, on a cru qu’ils ont déserté le champ
de l’expression politique, que les universités ne produisent plus les têtes
citoyennes dont se nourrissait jadis le personnel politique au niveau des partis
et des acteurs de la vie publique.

Ces derniers temps, ils nous prouvent le contraire. Sont-ils pour autant prêts
aux débats contradictoires qui ont leurs règles de jeux à respecter? Sont-ils
aptes à approfondir leur réflexion au point de percevoir les multiples facettes
des problèmes auxquels ils sont confrontés aujourd’hui? Sont-ils en mesure
d’accéder à la complexité des enjeux du développement d’un pays comme le nôtre?

La réponse est certainement oui pour une large majorité d’entre eux. Les enjeux
à dimensions culturelle, historique, géographique, sociale, économique,
démographique, humaine, psychologique et éthique auxquels notre pays est
confronté aujourd’hui, à l’instar des pays de la planète entière, exigent des
réponses de fond et jamais en surface, car la problématique du développement
humain est par essence complexe. L’expertise dans les propositions et la
précision dans les propos sont à ce niveau une exigence forte pour aller de
l’avant, construire et assurer un meilleur jour à nos enfants, tous les enfants
de la Tunisie, ce beau pays qui est le nôtre.

Il est proposé dans ce papier un diagnostic rapide de la situation des régions
intérieures en Tunisie et des propositions concrètes pour répondre à l’impératif
du développement régional équilibré, notamment sur le plan de l’emploi des
jeunes diplômés issus de ces régions.

Cas classique de régions enclavées

La composition socio-économico-démographique des gouvernorats des zones
frontalières est précaire: il s’agit d’une population installée plus âgée car
nombreux sont les jeunes qui sont partis dans les zones côtières plus pourvues
d’emploi, plus féminine à cause d’une inertie sociale encore vivace, plus pauvre
car les ressources sont relativement faibles, moins instruite car les activités
pratiquées sont moins exigeantes à ce niveau, moins bien soignée avec un nombre
de médecins par habitant inférieur à la moyenne nationale, moins bien nourrie où
les cas d’anémie chez les enfants sont assez fréquents, moins digitalisée car le
réseau de l’ADSL n’est pas passé par-là d’une manière dense et de qualité, moins
accessible aux grands bourgs malgré les efforts de l’Etat pour la réhabilitation
des pistes rurales, des voies vicinales et routes locales -mais ce n’est pas
toujours assez-, moins bien arrimée au système du planning familial car la
taille des ménages est supérieure à la moyenne nationale, moins d’activités
culturelles avec pas assez de ciné clubs, d’auditoriums, de théâtres…, moins
de licenciés dans les associations sportives avec 1% des 9-34 ans contre une
moyenne nationale de 2,8%, moins d’équipements collectifs que la moyenne
nationale tels que les infrastructures universitaires (souvent mal entretenues,
pas de chauffage, …), scientifiques, sportives, bibliothèques, loisirs,…

Dans ces régions, l’agriculture souffre de problèmes fonciers avec l’absence de
loi de remembrement avec émiettements des parcelles, la productivité s’en
ressent car la taille critique d’une exploitation agricole est au cœur de son
rendement, avec une faible mécanisation et un recours limité à l’innovation. La
réhabilitation du métier d’agriculteur n’est pas à l’ordre du jour, notamment
chez les générations montantes avec le paradoxe d’un fort taux de chômage chez
les ingénieurs agricoles tunisiens fraîchement diplômés, souvent d’origine
rurale. Les rares parcelles rentables appartiennent à des grands groupes
financiers ou de grands investisseurs qui, le plus souvent, ne sont pas issus de
ces régions. Si sur le plan macroéconomique cela est efficace, cela permet même
d’atteindre le seuil de compétitivité requis, sur le plan régional et individuel
la richesse semble fuir les plus concernés, la population “autochtone“, et
alimente le ressenti d’une richesse mal distribuée, perpétuant ainsi, pour
certaines positions extrêmes, le comportement colonial.

Quant à l’industrie, malgré l’effort de l’Etat, il est extrêmement rare de
trouver une zone industrielle aménagée répondant aux standards internationaux
dans ces régions sauf quelques poches çà-et-là telles que Gafsa qui dispose d’un
outil industriel opérationnel et répondant aux exigences internationales avec
des locaux aménagés pour faciliter la décision de délocalisation des entreprises
étrangères notamment.

Le tourisme, malgré un potentiel considérable, demeure le parent pauvre de ces
régions.

Sur le sujet du management territorial dans ces régions, la gouvernance
régionale semble défaillante, affectées par des pratiques s’apparentant souvent
à des formes de clientélisme et au favoritisme mesquin notamment au niveau le
plus bas de la division administrative. L’absence de décentralisation effective
ou de déconcentration sincère des décisions empêche tout marketing territorial
avec une incapacité des collectivités locales à s’ouvrir sur le monde. A titre
d’exemple, la région française du Languedoc-Roussillon ne peut pas établir
directement des liens sous forme de jumelage, de partenariat privilégié
favorisant les délocalisations dans les régions intérieures ou la circulation de
compétences (l’emploi des jeunes diplômés dans ces régions pourvoyeuses de
travail…).

A l’heure où on parle de compétitivité internationale et de capacité
d’attraction des
IDE par les régions, l’échelle de nos 24 gouvernorats semble
trop petite pour faire face à des régions telles que la Catalogne ou la
Provence-Alpes-Côte-D’azur. Le personnel des collectivités locales n’est pas
suffisamment formé à l’agressivité économique pour les intérêts de la région et
des communautés qui y vivent, exigée par les temps qui courent.

La prospective d’occupation de l’espace traduite par la stratégie nationale
d’aménagement du territoire, la stratégie nationale d’aménagement rural, les
schémas directeurs d’aménagement des régions sont malheureusement en perte de
vitesse.

Cette vision globale, systémique, stratégique est de plus en plus sacrifiée à
l’autel du pragmatisme de marché. L’homme et sa relation à l’espace semble, pour
un temps, oublié en l’absence d’une politique claire liée à l’aménagement du
territoire et l’urbanisme qui visent le développement équilibré et harmonieux
des différentes régions du pays en œuvrant sur le bien-être partagé sur
l’échelle de l’individu et de la communauté.

L’intégration des régions aux dynamiques économiques nouvelles passe par l’aide
publique et l’action du secteur privé

Parce que la Tunisie et les Tunisiens, historiquement, n’aiment pas le dissensus
et préfèrent le consensus à la division, parce que la Tunisie est parcimonieuse
dans son ADN, progressant par étapes, à pas mesurés, sans bling-bling ni
fioritures, avec rationalité et persévérance, des solutions quant à la question
du développement de ces régions sont à trouver dans une logique de sérénité et
de construction.

On assiste, en effet, à un cas assez classique dans l’histoire contemporaine de
l’humanité de régions enclavées, laissées de côté, sans espoir apparent
d’intégration aux dynamiques économiques nouvelles. Dans ce cas, il faut faire
de l’aide publique, il n’y a pas le choix, mais aussi le secteur privé, celui-là
qui a trop longtemps été protégé par l’Etat et qui s’est constitué une rente au
fil des ans.

Le rôle de l’Etat est de donner de l’espoir aux populations concernées et aux
entreprises dont le but est, certes, de faire du profit, mais elles sont
conscientes aujourd’hui et plus que jamais que l’entreprise est avant tout un
fait social, sa pérennité passe par son devoir citoyen, donner et recevoir,
c’est la règle.

L’Etat est amené à préparer les conditions d’encouragement de l’investissement
privé à capital local, international ou mixte, dans les régions. Cela passe par
l’amélioration rapide et à effet immédiat de l’infrastructure routière,
technologique et l’aménagement de zones industrielles par les travaux VRD et la
construction de locaux industriels prêts afin d’accélérer le processus
d’établissement dans ces zones.

Les derniers prêts consentis auprès de la
BAD (Banque africaine de
développement) et de la
BEI (Banque européenne d’investissement) vont dans ce
sens.

Certains groupes privés ayant vécu sur la rente du protectionnisme de l’Etat
depuis les années 60 et 70 ont certainement des projets d’extension de leur
capacité de production à l’ordre du jour. La priorité absolue doit être faite
dans les régions. Cela est possible par l’amendement de la loi de finance de
2011 et prévu dans le nouveau code des investissements qui va voir le jour cette
année.

La discrimination positive devrait aller dans le sens où les sociétés de
services aux entreprises, les sous-traitants et les salariés générés par ces
implantations seraient originaires de la zone d’investissements. La Tunisie, de
par le passé, a connu de telles dispositions afin d’équilibrer le développement,
à l’instar de l’acte d’ouverture d’agences bancaires ou d’une station de
services dans les grandes villes qui devaient obligatoirement être accompagnées
par des ouvertures dans des bourgs plus petits, au nom du développement
solidaire.

Le principe républicain et constitutionnel de l’indivision en Tunisie est sacré,
il doit être davantage ancré dans tous les esprits de tous les citoyens, toute
référence régionaliste ou tribale est à bannir, voire à punir. Toutefois, la
refonte du rôle des conseils régionaux, leurs prérogatives, leurs compositions
demeure certainement d’actualité pour plus d’efficacité dans la gestion de la
région, une meilleure anticipation des besoins en développement humain et un
suivi optimal des réalisations sur le terrain des décisions centrales.

Pour effacer les particularismes locaux, sources d’éventuelles formes de
clientélisme et afin de donner une capacité d’attractivité supérieure des
territoires, il est à reconsidérer le découpage administratif actuel en optant
pour de vraies grandes régions, six en tout, grand Tunis (Tunis, Manouba, Ariana
et Ben Arous), le Nord-est (Bizerte, Nabeul, Zaghouan), Nord-ouest (Beja,
Jendouba, Siliana et Le Kef), le Centre-est (Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax),
le Centre-ouest (Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid) et le sud (Gafsa, Gabes,
Tozeur, Kébili, Tataouine, Médenine), voire un autre découpage régional imposant
la présence d’un gouvernorat continental et un gouvernorat côtier au minimum
dans chaque région tout en gardant la subdivision actuelle en 24 gouvernorats à
un niveau plus bas de la division administrative. L’infrastructure régionale
devient alors l’affaire des régions, qu’elles soient de base, sportives,
culturelles et éducatives (niveau lycée). Une propre communication et marketing
régionalisé pour une attractivité et une compétitivité territoriale assumées et
issues des régions afin de réaliser l’émulation nécessaire en intra pays et
vis-à-vis d’autres de régions étrangères concurrentes (Catalogne, Tanger,
Emilie).

L’espoir est permis! Le succès est en nous!

Il est illusoire de voir les choses changer du jour au lendemain. Pourtant,
l’espoir est permis, celui de voir les décisions bouger dans le sens d’un
rééquilibrage volontariste de par l’appareil de l’Etat au niveau des régions.
Les dernières mesures prises en faveur de l’investissement régional prouvent que
cela est possible. Avec l’Etat et son administration, le secteur privé et la
société civile sont amenés à mettre la main à la pâte pour un développement
harmonieux et sans heurts de notre Tunisie, qui ne supporterait pas l’effet
d’une crise profonde, génératrice de lendemains obscurs.

Au nom des personnes qui se sont sacrifiées pour ce pays, la jeunesse doit
garder raison et reprendre un optimisme agissant et constructif. Cet appel ne
puise pas sa source dans une frilosité bourgeoise convenue et conformiste; non,
pas du tout, elle puise son inspiration d’une envie puissante, comme tout
Tunisien, de voir son pays prospère, égalitaire, juste, où il fait bon vivre
pour les générations à venir. C’est un appel qui part d’une conviction forte: le
succès est en nous! Tous autant que nous sommes, à toutes les échelles de la
société tunisienne et à tout âge. Ce succès ne peut être que collectif, car le
succès individuel est vain et non pérenne.