«Il ne faut pas que nos jeunes pensent qu’il n’y a pas de solutions à leurs
problèmes de chômage. Les solutions existent, il faut les trouver, et en tant
qu’entrepreneuriat, nous comptons bien y contribuer». C’est ainsi que s’est
exprimé Hédi Djilani, président de l’UTICA, lors d’une conférence de presse
tenue vendredi 7 janvier au siège du patronat et qui avait pour objet d’apporter
des éclaircissements sur la décision du Conseil d’Administration du patronat
relative à la création de 50.000 postes d’emplois en l’espace d’un mois et demi.
Hédi Djilani n’a pas manqué de rappeler la crise qui secoue l’Europe et dont les
conséquences sont néfaste sur les équilibres économiques de la région
méditerranéenne et surtout la Tunisie dont 80% des échanges se font avec ce
marché.
Il a également souligné les limites du système d’enseignement quant à satisfaire
les besoins du marché de l’emploi. «Il est indéniable que notre système éducatif
est un acquis sur lequel nous ne reviendrons pas. En lui-même louable, il se
trouve qu’il a mis sur le marché des profils qui ne correspondent pas aux
exigences des entrepreneurs, mais devons-nous pour autant lâcher ces diplômés du
supérieur dans la nature? Nous estimons, aujourd’hui, que la participation de
l’entrepreneuriat privé à la création de l’emploi est une responsabilité et doit
prouver la dimension citoyenne de nos entreprises». La mission n’est pas
impossible affirme le patron des patrons, d’autant que le taux d’encadrement au
sein des entreprises tunisiennes ne dépasse pas les 10% (en Inde et en Chine il
se situe entre 20 et 25%, dans les pays développés à 30%).
Le recrutement ne devrait pas être assimilé à un acte de bienfaisance, précise
cependant M. Djilani, il peut et doit être un vecteur de performances pour
l’entreprise. «L’exemple le plus édifiant en la matière est celui des 4.000
entreprises qui ont suivi les programmes de mise à niveau, en améliorant leur
taux d’encadrement, elles ont pu améliorer leur productivité, leur capacité à
l’export et leur compétitivité».
D’autre part, travailler en Tunisie n’est pas une fatalité, estime le président
de l’UTICA, la main-d’œuvre, et les qualifications des diplômés tunisiens
peuvent être de très bons arguments pour exporter un certain nombre de
ressortissants universitaires dans des pays qui ont besoin d’expertises et de
ressources humaines compétentes.
Il faudrait éventuellement revoir certains choix économiques et certains plans
de développement qui n’ont pas prouvé leur efficience, a estimé le patron des
patrons. «Il est indéniable que si certaines politiques entreprises jusque-là
n’ont pas réalisé les objectifs escomptés, elles doivent être révisées dans
l’intérêt du pays et des jeunes générations, et ceci est faisable».
Revoir nos politiques de développement régional
Le moment est venu de réfléchir sérieusement à des projets industriels intégrés
en implantant des unités sur la côte et d’autres à l’intérieur du pays. Les
temps sont venus d’être plus cohérents en matière d’investissements. Il est plus
logique dans les régions à composante agricole d’y implanter des unités
agroalimentaires de transformation que de déplacer les récoltes vers les grandes
villes, délaissant ainsi les zones de production. «Nous ne pouvons pas militer
pour faire partie des pays développés et performants et garder une mentalité et
un comportement de pays sous-développé. La culture doit changer tout comme
l’idée que nous nous faisons des avantages accordés aux entreprises qui ne sont
pas aussi évidents que cela. Si nous offrons aux entreprises qui s’implantent
dans les régions prioritaires des exonérations et des privilèges, c’est bien
parce que de toutes les manières, elles ne gagnent rien à leurs débuts, alors
arrêtons de faire croire aux gens que les entreprises s’en mettent plein les
poches grâce aux aides de l’Etat et à l’argent du contribuable».
Dans l’attente, l’Etat a décidé de consacrer 6.700 MDT, hors infrastructures, au
développement régional. Ces fonds interviendront à quel niveau? Nous le saurons
très prochainement.
Hédi Djilani a insisté lors de la conférence de presse sur le principe de la
solidarité nationale et le rôle de l’entrepreneuriat dans le maintien de la paix
sociale, la conservation des acquis. Un rôle qui ne doit pas être tenu que par
les entreprises mais par toutes les composantes de la société civile et du
peuple tunisien.
Des questions se posent avec insistance toutefois: pourquoi a-t-il fallu que les
jeunes diplômés se révoltent pour réagir à leurs revendications, sachant que
tous les indices étaient là pour attirer et l’attention des pouvoirs publics et
celle des partenaires sociaux UTICA et UGTT à l’urgence d’intervenir? Et à
supposer que les entreprises fassent œuvre de charité -car quoique le patron du
patronat ait insisté sur le fait que ce n’est pas de la bienfaisance, le
principe de prendre en considération les conditions sociales du demandeur
d’emploi plutôt que ses compétences et ses qualifications va à l’encontre de la
rentabilité et l’efficience économique d’une entreprise- nous résoudrons une
petite partie du problème cette année certes, mais pour les prochaines années,
que ferons-nous?
Arrêtons de nous voiler la face
Ce que nous devons savoir et concrétiser sur le terrain c’est de quelle manière
les entreprises peuvent contribuer au développement des zones prioritaires tout
en gardant leurs capacités de production et performances intactes. D’où la
nécessité de les associer dans la mise en place des lois et des incitations à
l’investissement afin de connaître leurs véritables besoins et d’assurer les
conditions nécessaires au développement d’activités économiques dans des régions
délaissées.
L’autre condition pour inciter les entreprises à investir et de veiller à
respecter les règles de bonne gouvernance, de transparence et d’égalité de
chances et de droits des entreprises devant la loi. Car il faut reconnaître
aujourd’hui qu’il existe une crise de confiance qui explique la réticence de
certains entrepreneurs à investir. Ce rôle de gendarme et de garant de l’égalité
de tous devant la loi revient à l’Etat qui doit y veiller sous peine de voir sa
crédibilité mise en doute, et nous savons tous à quel point un climat d’affaires
sain est important pour l’épanouissement de l’entrepreneuriat.
Nul ne doute du fait que l’investissement est le meilleur remède au chômage et
que ce ne sont pas des solutions prises dans l’urgence qui résoudront un
problème structurel qui dure depuis des années; l’investissement a besoin d’un
bon environnement réglementaire, social, et politique.
Il est grand temps de re-réfléchir sérieusement nos politiques d’enseignement,
de développement régional, de gouvernance, de dialogue social, de distribution
des richesses et d’égalité devant la loi. Il est grand temps de faire évoluer le
modèle de création de valeur des entreprises pour prendre en compte des
dimensions essentielles à leur pérennité dans un monde où s’accroissent les
inégalités et où de nombreux besoins de nos concitoyens sont encore
insatisfaits.
Aux grands maux, mettons les grands moyens, arrêtons de nous voiler la face et
de prétendre que nous vivons dans le meilleur des mondes. Nous sommes en face de
défis dont les solutions doivent obligatoirement s’enraciner dans les sphères
d’activités économique, sociale, environnementale et politique. Osons le faire,
arrêtons de faire du surplace, car si nous voulons regagner la confiance des
jeunes, le seul moyen est de reconnaître nos torts et de proposer des solutions
concrètes et réalisables à leurs malaises de vivre, leurs doutes et leur perte
de foi en le système.