Tunisie – Développement : Les régions de l’intérieur n’ont plus besoin d’assistance sociale

La Tunisie a été constamment critiquée pour sa centralisation excessive.
Contrairement au discours officiel des années soixante et soixante-dix, de nos
jours, on parle très peu -du moins franchement- de décentralisation et de
déconcentration.

Cette centralisation a eu pour corollaire l’orientation des investissements les
plus lourds vers le littoral et l’option pour l’assistance sociale à l’endroit
des régions de l’intérieur (intervention du Fonds de solidarité nationale,
caravanes de solidarité…).

Ces mêmes régions qui, rappelons-le pour ceux qui l’ignorent, présentent le
handicap majeur d’avoir été fortement déstructurées par le collectivisme des
années soixante sans qu’aucune autre alternative ne leur soit trouvée depuis.

Le schéma d’aménagement du territoire, actuellement en vigueur, a beaucoup
contribué à ce déséquilibre entre le littoral et l’arrière-pays, déséquilibre
qu’une dizaine de plans de développement économique ne sont pas parvenus,
jusqu’ici, à éradiquer.

Ce schéma, adopté en commission ministérielle en 2004, n’a jamais été soumis au
Parlement.

Officiellement axé sur le développement durable, le nouveau schéma, le 4ème
depuis l’accès du pays à l’indépendance, engage l’avenir du pays pour une
vingtaine d’années.

Globalement, il se propose de «répartir l’espace du territoire national sur la
base de trois objectifs stratégiques majeurs: un développement efficace en
termes de compétitivité internationale, un développement durable à la mesure des
pressions exercées sur les ressources naturelles et un développement équitable,
assurant un haut niveau de cohésion sociale».

Pourtant, si on regarde de près, ce plan consacre, de la plus belle manière, le
déséquilibre régional et a même tendance à l’inscrire dans la durée. Que dit en
fait ce plan?

La première orientation consiste à répartir le territoire tunisien en grands
pôles de développement articulés autour des trois plus grandes villes de Tunisie
: Tunis la capitale pour le nord du pays, Sousse pour le centre et Sfax pour le
sud.

L’objectif des technocrates qui ont conçu ce plan relève de la folie des
grandeurs. Il s’agit d’en faire des mégapoles destinées à jouer le rôle de
locomotives de développement. A terme, ces trois mégapoles sont censés rivaliser
avec des métropoles méditerranéennes comme Marseille, Rome ou Barcelone, et
surtout, tenez-vous bien, «rayonner sur les régions de l’intérieur». Décryptage:
l’arrière-pays, l’ensemble des régions laissées pour compte, sera au service des
trois grandes villes du littoral, voire ce qu’on appelle «le corridor
magistral».

Les choix sont ainsi faits. La Tunisie évoluera, officiellement, à géométrie
variable.

Ainsi, dans le sillage du Grand Tunis, évolueront des villes stratégiques du
nord-est du pays (Bizerte, Nabeul) et du nord- ouest (Jendouba, Le Kef, Siliana,
Béja, Zaghouan…). A la périphérie de Sousse, se développeront des villes comme
Monastir, Mahdia, Kairouan et Kasserine. Et enfin, à la périphérie de Sfax,
évolueront les villes de Gabès, Sidi Bouzid, Médenine, Djerba, Tozeur, Gafsa,
Tataouine…

Ces mégapoles seront dotées de l’infrastructure lourde en matière de transport,
de communication, d’industrie, de services… C’est d’ailleurs dans cette
optique que le site d’Enfidha a été retenu pour abriter un aéroport
international, un port en eaux profondes et un cluster industriel, alors que
d’autres sites comme Cap Serrat (région de Bizerte) et Skhira (nord de Gabès) et
Kairouan auraient pu en profiter en partie.

C’est dans cette optique également que les meilleurs technopoles (TIC,
agroalimentaire, informatique, vétérinaire, biologique…) sont et seront réalisés
sur le littoral. Les régions de l’intérieur se contenteront de cyberparcs, de
chétifs locaux destinés à promouvoir le télétravail (call centers et autres…)

Pour le reste, le schéma prévoit pour les régions de l’intérieur tout juste des
améliorations des conditions de vie et des commodités lesquelles sont beaucoup
plus des exigences morales que des engagements de développement (infrastructure
de base, alimentation en eau potable, accès à l’électricité et à
l’assainissement…).

Il met l’accent sur l’amélioration du niveau de vie, particulièrement dans les
zones déshéritées, la promotion de l’emploi et de la formation professionnelle,
l’assistance des régions qui rencontrent des difficultés structurelles (régions
minières et frontalières avec l’Algérie).

Il s’git également de contenir l’émigration interne –communément appelée exode
rurale- et d’instituer des incitations pour sédentariser les habitants,
particulièrement des régions du nord-ouest qui émigrent en grand nombre vers le
Grand Tunis.

Au plan de l’investissement, les créneaux porteurs dans les régions de
l’intérieur, le nouveau plan cite vaguement et sans grande conviction,
l’agriculture biologique, le tourisme archéologique, le tourisme saharien,
l’activité minière et la micro-industrie.

En ce qui nous concerne, nous pensons qu’après les troubles qu’a connus de
manière dramatique l’intérieur du pays –voire tout le pays-, ce schéma
antiségrégationniste n’a plus de raison d’être.

Les gouvernorats de l’intérieur, qui ont contribué à l’indépendance du pays et
qui abritent des capitales historiques du pays (Tozeur, Thala, Cyrta (actuel El
Kef), et Sbeitla, Kairouan et Mahdia), ont droit à un développement durable et à
la stabilité.

Les experts sont unanimes pour avancer que ces contrées à vocation minière et
agricole présentent un fort potentiel de développement et de croissance.

Conséquence: on peut ainsi y développer, avec succès et de manière durable,
l’agroalimentaire (laitages, dérivés de céréales, transformation, minoteries,
fromageries…), l’artisanat, le tourisme (archéologique, écologique, agricole et
de chasse…), le commerce frontalier (zones franches…) et l’activité minière
(disponibilité en grande quantité de substances utiles).

Et pour ne rien oublier. Est-il besoin de rappeler que Tunis est bien loin
d’être la Tunisie? Les événements de ces derniers jours ont répondu par la
négative.