Hymne aux Tunisiens

hymne-18012011.jpgDes
déflagrations de balles sur la grande avenue de la Cité Olympique et une dame de
demander, de sa fenêtre, à un passant: «c’est quoi ces détonations?» Et le
monsieur de répondre l’air de rien: «ce sont des échanges de tirs». «Quoi qui
tire sur qui? Ce sont eux. Eux qui? Ceux qui veulent déstabiliser notre pays».
Authentique.

La scène a eu lieu le lundi 17 janvier et il s’agissait bel et bien d’une course
poursuite entre des hommes armés et une patrouille de l’armée nationale.

Curieux ce Tunisien que l’on découvre et redécouvre avec étonnement et
ravissement, ce Tunisien qui ne se soumet pas aux règles draconiennes du
couvre-feu mais qui s’habitue aux tirs de balles. Ce Tunisien qui suscite
aujourd’hui en nous de la fierté et de l’orgueil.

Celui-là même qui, il y a à peine un mois, se sous-estimait, se méprisait
presque pour être trop soumis, trop obéissant. A tel point que des propos
insultants tel «Makichh Rajel» (tu n’es pas un homme), considérés auparavant
comme étant hautement outrageants, ne suscitaient en lui aucune réaction si ce
n’est une réplique du style «Hal bled khallet fiha Rjel» (des hommes dans ce
pays, vous en voyez beaucoup vous?) Un ton amer qui ne trompe personne.

Ce Tunisien abusé, désabusé, humilié, asservi par un régime représentant un
modèle de répression à l’échelle planétaire, s’est révélé, à lui-même autant
qu’aux autres et plus qu’à aucun moment de son histoire contemporaine,
courageux, audacieux, volontaire, généreux et altruiste. Il s’est découvert
patriote et s’est proclamé citoyen alors qu’on a tout fait pour détruire en lui
toute appartenance citoyenne et sentiment patriotique.

Ce Tunisien que nous avons pensé longtemps castré et passif représente
aujourd’hui une source d’inspiration pour d’autres peuples qui veulent
tunisifier leurs revendications. Il inspire aussi ses compatriotes, tel ce
médecin dramaturge résident en Arabie saoudite qui a décidé d’écrire une pièce
théâtrale qui porte pour nom «Le retour d’Hannibal» en hommage à cet admirable
général carthaginois qui a refusé de voir la guerre se déplacer sur ses terres
pour que sa cité ne soit pas détruite par ses ennemis romains. «Il faut aller
chez eux avant qu’il ne viennent sur notre territoire, disait-il à ses généraux.
Si nous arrivons à temps, nous attraperons les Romains en Italie, pour que notre
Carthage ne devienne pas un champ de bataille».

Le Tunisien du 21ème siècle, digne héritier d’Hannibal, a offert les poitrines
désarmées de sa progéniture aux tirs des snipers afin de protéger la Cité.

Et nous avons vécu des scènes inoubliables dénotant d’un dévouement sans pareil.
Des jeunes avec une moyenne d’âge de 15 à 30 ans dressant des barrages et
interdisant le passage de tous les véhicules avant qu’ils n’assurent le
contrôle, se substituant aux agents des forces de l’ordre dépassés par une
situation inattendue jusqu’à adopter leur langage.

Ces jeunes se sont auto-soumis à une discipline et un ordre comprenant une
distribution de rôles allant de celui d’éclaireur, à celui d’agent de
circulation, dégageant le passage aux véhicules contrôlés et passant par celui
qui fouille attentivement les voitures jusqu’aux moindres recoins avec même un
contrôle de papier SVP. Un travail de pros en somme.

Ces hommes courageux, vigilants ont réussi à attraper plus d’un terroriste et
ont secondé du mieux qu’ils ont pu une armée et une police submergées par les
appels au secours et les actes de vandalisme et de destruction des biens
publics.

A Sfax, le patron d’une boulangerie a décidé d’offrir pendant trois jours du
pain gratuitement, ses ouvriers ont décidé pour leur part de travailler
gratuitement pendant ces trois jours.

A l’Ariana, une pâtisserie offrait des pizzas et des gâteaux gratuitement aux
gardiens de la Cité. Dans une autre cité, les habitants ont décidé de faire une
collecte pour contribuer à rénover les établissements saccagés. Dans une autre,
ceux qui ont dérobé, au plus fort du chaos, des appareils électroménagers dans
des magasins, ont été sommés de rendre leurs dus aux propriétaires, ils se sont
exécutés avec des excuses.

Tout au long de ces quatre semaines de «libération», les Tunisiens ont fait acte
de bravoure et d’un amour indestructible et non négociable pour leur patrie. On
en est presque euphorique.

Le patriotisme est la source du sacrifice, par cette raison qu’il ne compte sur
aucune reconnaissance quand il fait son devoir, disait Lajos Kossuth.

Notre armée a fait son devoir. Notre peuple a assuré. Ainsi soit-il!