Vidéos spectaculaires circulant sur Internet et on ne parle que de cela dans les
bureaux. Moins d’une semaine après la Révolution du 14 janvier, et alors que le
calme n’a pas encore gagné le pays, certains PDG d’entreprises publiques ont été
«vilipendés» par leur personnel. Tous ont repris la désormais célèbre formule
malpolie: «Dégage»!
Ce sont là les premières formes d’expression de certains salariés de la Fonction
publique qui profitent de la crise que vit actuellement le pays pour régler
leurs propres comptes. Une vindicte populaire qui ne dit pas son nom.
C’est un PDG d’une grande entreprise publique qui témoigne: «Je suis dégoûté,
abattu par rapport à ce qui se passe! Tout ça pour ça? J’ai tant donné au pays
pour que je récolte tant de haine. Pourquoi?!»
S’il est dégoûté, c’est que ce PDG aurait pu aller faire sa carrière à
l’étranger et dans n’importe quel pays occidental. Il aurait touché un salaire
mensuel équivalent à 40-50.000 euros, soit 80.000 dinars minimum. En Tunisie, la
rétribution de ce PDG dépasse à peine les deux mille dinars.
Sa compétence est avérée partout et il a grimpé les échelons de l’administration
un à un. Arrivé au sommet, il a été naturellement sollicité de partout et
notamment par les Trabelsi.
«Dans les conditions de travail où je travaillais, et au vu des pressions que je
subissais, je n’avais pas beaucoup de choix. Je refuse et je me vois menacé.
J’accepte et je me vois compromis».
La menace va du simple limogeage (toute une carrière qui part en l’air) jusqu’à
la menace physique. On n’hésite même plus à vous mettre de la drogue dans votre
voiture pour vous accuser.
Et cela ne touche pas les PDG seulement. Même les ministres passent par ce genre
de pressions. Il suffit de voir les différents remaniements ministériels (y
compris le dernier) pour s’en persuader. Des personnes d’une compétence certaine
qui se voient éjectés sans explication officielle. Seuls les plus initiés en
connaissent les raisons. Et les taisent. Car, avant le 14 janvier, tout le monde
s’est muré dans le silence à quelques exceptions près (qui ne savent pas
grand-chose des limogeages en l’absence des fuites).
Reste alors le compromis. Comment hisser l’entreprise au meilleur niveau, malgré
le cancer qui la ronge de l’intérieur? Car, il est indéniable que la Tunisie a
réalisé de grandes avancées en dépit de ce cancer.
Ce compromis a été vécu par l’ensemble des ministres et PDG honnêtes et
intègres. A commencer par le chef du gouvernement. Reste à démêler l’honnête du
malhonnête dans ce que vit la Tunisie actuellement.
Dans le quotidien, certains PDG se trouvaient dans le désarroi face à
l’aberration. Des ordres invraisemblables d’un ministre célèbre pour sa
corruption qui refuse toujours de donner ses ordres par écrit, afin de ne pas
laisser de trace. Le PDG refuse et c’est parti pour un bras de fer au quotidien
où la marge de manœuvre du PDG est réduite à néant ou presque. Où le ministre
n’hésite pas à humilier son PDG devant ses homologues d’autres entreprises
publiques voire devant des journalistes.
Et si le PDG démissionne? La démission est refusée! «Tu restes et tu exécutes!».
Et, naturellement, personne n’a le courage de claquer la porte au gouvernement
de Ben Ali. Car même si le PDG en question n’est pas touché, c’est sa famille
qui risque de l’être. Les exemples des militants de la société civile sont là
pour rappeler aux fonctionnaires et aux entreprises privées ce qu’ils risquent
en cas de désobéissance. Les Sihem Ben Sedrine, Radhia Nasraoui, Taoufik Ben
Brik ou encore Slim Boukhdhir et Fahem Boukadous sont régulièrement tabassés
pour servir d’exemple au reste de la population. «Aujourd’hui, mon seul souci
est que mes enfants puissent sortir dans la rue sans baisser la tête! Je n’ai
rien à me reprocher, dans les conditions où je travaillais, j’ai fait mon
maximum pour servir mon pays! Nul n’a le droit de lyncher quiconque, qu’on
laisse la justice faire son travail!» Heureusement pour notre PDG que son
personnel soit majoritairement solidaire avec lui.
Une véritable chasse aux sorcières est lancée. Des accusations de partout et qui
ne ménagent personne. Cela va de la petite entreprise publique jusqu’au Premier
ministre. Un tel est corrompu, un autre est un voleur et celui-là est mouillé
avec les Trabelsi.
Les accusateurs? Des Iznogoud. Des sous-fifres qui veulent devenir califes à la
place du calife. Et cela va jusqu’à la menace physique comme ont dû le vivre les
PDG de la CNSS et de la Star. Jeudi, d’autres PDG ont été touchés par les
menaces. Inutile de les citer, la liste ne cesse de s’allonger.
Dans ce genre de situations, il est impératif que la justice tunisienne
intervienne, via les forces de l’ordre, pour arrêter cette hémorragie qui
ébranle des institutions et y appliquer la loi. Une démocratie n’a jamais
signifié gabegie, et si le personnel doute de l’honnêteté de son PDG, il n’a
qu’à déposer plainte, dans le respect des lois et des institutions.
Des PDG qui en ont profité du système pour s’enrichir, il y en a certainement
par dizaines. Idem du côté des ministres. Et il serait intéressant que la
commission d’enquête constituée planche sur les avoirs financiers et immobiliers
de l’ensemble des anciens membres du gouvernement et des hiérarques de
l’administration. Cela exige du temps? Oui et il le faut! Mais c’est dans le
cadre de la justice et du respect de la loi, et c’est là notre bien le plus
précieux que nous devons protéger après le 14 janvier