Prise de bec en direct, discussions politiques enflammées, instrumentalisation
d’une révolution qui a payé du sang de dizaines de jeunes sa toute fragile
victoire.
La révolution roumaine de 1989, qui a mené à la chute de Ceausescu, a marqué les
esprits en raison de la couverture télévisée et médiatique dont elle fut
l’objet.
Aujourd’hui, la révolution tunisienne monopolise les programmes et les écrans
non seulement à l’international mais également à l’échelle nationale. Nos
télévisions se sont transformées tour à tour en des salons politiques, des
tribunaux publics et des cercles de discussion où on ne se prive pas de
mobiliser ou manipuler l’opinion.
Au delà du rôle citoyen de la télévision dans une conjoncture spécifique et qui
a été assuré par nos différents supports, la question qui se pose est la
suivante: le rôle premier des médias est-il de jouer aux juges et aux
assistantes sociales ou celui d’informer et de chercher la vérité?
En matière d’information, s’agit-il de couvrir surtout des manifestations de
personnes déchaînées intimant l’ordre de partir aux premiers responsables de
leurs institutions, ou plutôt de chercher des réponses aux véritables questions
que se posent les gens? Des questions du genre, pourquoi ces débordements?
Pourquoi ces hauts responsables, aussi «maléfiques» soit-il, ne sont pas
protégés par les cadres légal et institutionnel existants?
Pourquoi donne-t-on l’impression à chaque fois qu’un PDG est «chassé» par ceux
qui étaient ses employés que nous sommes bien contents que la volonté du peuple
est faite?
Alors que nous voilà débarrassés de la dictature de l’Etat, devons-nous nous
soumettre à celles d’individus pris par l’euphorie d’une liberté permissive qui
les autorise à se révolter décidant de qui reste et qui part dans les
institutions de l’Etat et les établissements privés?
A-t-on pensé au fait que c’est créer des précédents que «d’approuver»
illicitement ce genre de comportement? Car, si à chaque fois qu’un employé non
convaincu de la prestation de son chef ou offusqué par son comportement envers
lui ordonne de «dégager», il faut croire que nous sommes en plein dans la dérive
populiste, et même pas celle à la mode des pays de l’Amérique latine, mais pire.
Les institutions n’appartiennent à personne, elles sont notre rempart contre
toute illégalité et doivent garder leur statut sacré et intouchable. Ceux qui
ont failli doivent être punis mais dans les cadres légaux et suivant les
procédures en vigueur. Un leadership économique, politique et médiatique qui,
loin de guider la révolution, l’a pris en marche, n’a pas le droit de se
l’approprier ni celui d’encourager de manière mesquine des dérives qui menacent
l’équilibre fragile du pays qui a besoin d’avancer dans la clarté et la
transparence.
La complaisance qui caractérisait certains individus dans leur attitude envers
l’ancien régime ne doit pas se transformer en une fausse complaisance destinée à
amadouer le peuple et parfois malheureusement des personnes qui n’ont aucun sens
de la citoyenneté pour faire passer leur vindicte personnelle avant l’intérêt
général.
Nos médias, qui nous l’espérons, viennent d’échapper à une mainmise politique
qui a mené à leur destruction, vivent aujourd’hui leurs premiers moments de
liberté de la presse et de l’expression. Doivent-ils pour avoir plus d’audimat
le sacrifier à la crédibilité, l’objectivité et la non exclusion de n’importe
quelle composante de notre environnement sociopolitique?
N’avons-nous pas le devoir en tant que médias d’élever les centres d’intérêt de
ceux qui nous regardent?
Il faut informer, sensibiliser, conscientiser mais faut-il pour autant tout
dire, tout montrer, à n’importe quel prix?
Le scoop ou le sensationnel ne doivent pas être les seules références.
L’audimat à tout prix justifie-il les dérapages? Vivons-nous déjà l’époque de la
télé méchante et perfide? Car à voir ce qui se passe, nous sommes en plein dans
le voyeurisme politique.