Les employés de la première chaîne privée en Tunisie, Hannibal TV en l’occurrence, sont entrés depuis lundi après midi dans un sit-in ouvert dans les locaux de la chaîne. La raison de ce mouvement de grogne: l’arrestation du propriétaire de la chaîne, Larbi Nasra, et de son fils, Mehdi Nasra, pour fait de “haute trahison” et “complot” contre la sécurité de l’Etat.
Les manifestants ont déploré le retour “de la répression de la liberté de presse, en rejetant «les accusations portées à l’encontre du promoteur de la chaîne», notamment celles de son «implication dans des actes de violence et de diffusion de fausses informations visant à déstabiliser le pays», et assurant que “l’arrestation de M. Nasra n’est autre qu’un pur règlement de compte”.
Bon à rappeler: une dépêche de la TAP, datée du dimanche 23 janvier 2010, a semé la panique en annonçant que le promoteur de Hannibal TV, ayant des rapports de parenté par alliance avec l’épouse du président déchu, est accusé de haute trahison pour avoir voulu favoriser le retour de Ben Ali en diffusant «de fausses informations de nature à créer un vide constitutionnel et à déstabiliser le pays en vue de l’entraîner dans une spirale de violences ayant pour objectif de rétablir la dictature de l’ancien président».
Lotfi Sellami, responsable de communication de la chaîne de télévision privée tunisienne Hannibal TV qui, interviewé par Webmangercenter.com, a, sans coup férir, dénoncé ces accusations «arbitraires» et «non fondées» sur fond d’un règlement de compte qui dépasse la personne de son employeur pour viser directement la chaîne qui, «depuis sa création, n’a pas rechigné sur les efforts pour démocratiser le paysage médiatique et être le porte parole du citoyen lambda».
«Haute trahison, nous dit-on! Mais voyons, quelles charges vont-ils imputer alors à la bande mafieuse de l’ancien président?», s’indigne notre interlocuteur.
En réponse à une question portant sur les circonstances de l’arrestation de Larbi Nasra et de son fils Mehdi, M. Sellami nous a fait savoir que tout a commencé avec la suspension de la diffusion de la chaîne, une décision qui a surpris toute l’équipe d’autant plus que le propriétaire d’Hannibal TV était chez lui. «Nous avons appris la nouvelle par la télévision nationale. D’emblée, j’ai conatcté M. Nasra et nous avons demandé des éclaircissements sur la suspension de la transmission. Nous avons appris par la suite que l’Office national de télédiffusion était derrière la coupure de la retransmission».
Et d’ajouter: «Après l’arrestation de M. Nasra, nous avons essayé de joindre par téléphone, mais en vain, le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et le porte parole du gouvernement. Ce n’est que vers la fin de la journée, et suite à l’intervention de M. Ahmed Néjib Chebbi, ministre du Développement régional et local du gouvernement d’union nationale, que la diffusion d’Hannibal TV a été reprise. Dans une déclaration exclusive à notre chaîne, M. Chebbi a qualifié cette coupure d’antenne “d’erreur” dont il s’est excusé tout en niant toute intervention du gouvernement sur cette interruption».
M. Sellami a tenu à préciser que ces circonstances rocambolesques ont semé la panique au sein des cadres et employés de la chaîne, désormais menacés de perdre leurs postes d’emplois. «Si le promoteur est vraiment coupable, que la loi soit appliquée en bonne et due forme. Mais surtout qu’on ne fasse pas “deux poids, deux mesures“. Nous déplorons le retour de la répression de la liberté de presse, ce qui serait, à n’en pas douter, une insulte à la mémoire des martyrs de la révolution», estime t-il.
Et notre vis-à-vis de poursuivre: «Nous revendiquons la liberté sans condition du promoteur de la chaîne et de son fils, de respecter les acquis de la révolution, dont notamment la liberté de respecter et de cesser cette chasse aux sorcières qui porte atteinte à la personne de Larbi Nasra en mettant en doute son patriotisme et son abnégation. Et jusqu’à nouvel ordre, nous maintenons notre sit-in».
Heureusement pour le personnel d’Hannibal TV, quelques heures après leur manif, Larbi Nasra a lui-même annoncé sa libération sur sa propre antenne, disant qu’aucune accusation ne pesait plus sur lui et que le dossier est définitivement clos. S’agit-il alors d’une tempête dans un verre d’eau ou une guerre secrète qui ne dit pas son nom? Quoi qu’il en soit, nous le saurons dans les jours à venir. Ou peut-être pas.