Quand un marchand de légumes change le cours de l’histoire dans un pays, ce que
dit un général respecté, qui plus est garant de ce revirement d’histoire, mérite
que l’on s’y arrête un moment, n’est-ce pas?
Mais commençons par le commencement… Demandez leur sentiment aux gens qui vous
entourent, votre famille, vos collègues de travail, votre épicier… et vous
comprendrez que si l’euphorie persiste, si un sentiment incommensurable de
fierté d’être Tunisien demeure, il reste qu’une certaine inquiétude à l’égard de
l’avenir commence à poindre dans les poitrines. Cette escalade de demandes dont
certaines sont singulièrement impatientes retarde la stabilité dont tous les
Tunisiens ont besoin pour reconstruire et faire face à cet avenir neuf qui
s’annonce.
C’est clair, tout le monde est sur les dents, jusqu’à la police qui a manifesté
comme quasiment tous les corps professionnels.
Mais avez-vous bien observé la scène? Ceux qui sont sur les chars de combat,
ceux que tout le monde respecte, ceux qui sont les plus populaires, ceux qui ont
dit non aux ordres donnés de s’attaquer à la population… restent presque de
marbre, sereins, dévoués à la noble tâche de préserver la patrie: les
militaires.
Maintenant rappelez-vous ce que notre confrère ‘The New York Times’ disait dans
son éditorial du 15 janvier, comme quoi la meilleure solution dans la situation
actuelle de la Tunisie serait de s’en remettre au général Rachid Ammar (que
notre confrère cite par le nom). Rappelez-vous l’attitude des Israéliens (qui
pèsent de tout leur poids sur la politique US) qui ont regretté, également le 15
janvier, le départ de celui qu’ils présentaient comme un ami secret et qui
s’inquiétaient de celui qui viendrait après lui.
Reliez cela à Jeffrey Feltman, numéro 2 du secrétariat d’Etat US, qui vient de
passer quelques heures à Tunis et à l’adresse du général Rachid Ammar qui, en
toute sincérité, mettait en garde les manifestants participants au sit-in devant
le palais du Gouvernement (et, derrière eux tout le peuple tunisien) contre une
possible ”vacance du pouvoir” avec toutes les conséquences que l’on imagine,
insistant sur le fait que l’armée restera invariablement garante de la
révolution tout en restant résolument dans les limites de la Constitution.
L’avenir est désormais entre les mains des Tunisiens. Mais risquent-ils de
laisser passer cette chance historique en ne laissant aucune chance au
gouvernement provisoire?