Pour une fois, l’avenue Habib Bourguiba a réuni des contestataires qui, aujourd’hui, ne se sont pas mis côte-à-côte pour renverser le régime mais face-à-face pour se contester mutuellement.
Parmi eux, ceux qui appellent au retour au travail et à la vigilance, et les autres. Ceux qui tiennent à faire tomber le gouvernement transitoire qu’ils traitent de «Rcdistes» même si cela doit faire ralentir l’économie.
Un observateur qui a suivi la révolution depuis son déclenchement à Menzel Bouzaiene et Sidi Bouzid a déclaré: «La noblesse du 14 janvier a laissé la place à une forme de corruption! A toutes les formes de corruption». Par cela, il voulait parler de tous les manipulateurs qui n’hésitent pas à semer la division pour maintenir leur pouvoir sur la rue.
«Il n’est pas normal que nous laissions la rue décider du destin du pays, car il ne s’agit plus du peuple aujourd’hui, mais plutôt d’une rue complètement hystérique», a déclaré un universitaire non «Rcdiste» SVP.
Une rue où le 25 janvier se sont réunis des entrepreneurs, des hauts fonctionnaires, des cadres et des travailleurs –on parle de près de 3.000 personnes- qui ont appelé «Ya osthadh, ya mouallim, barra allim et baad itkallim» (professeurs et instituteurs, enseignez et puis parlez); «Oui à la démocratie, non au chaos», «Non à l’UGTT, oui au travail».
D’autres leur ont barré la route les accusant de trahir la «Révolution du peuple» et soutenir un gouvernement qui ne répond pas à ses vœux.
«On a tout fait pour annuler ce rassemblement qui vise à remettre le pays sur pied dans une situation de grande détresse économique. Des sms d’annulation ont été lancés sur les téléphones portables, des pages appelant au rassemblement qui disparaissent sur Facebook, encore des infiltrations de comptes FB 404. Y aurait-il des nostalgiques de l’ancien régime qui se seraient mis de connivence avec des éléments perturbateurs?», demande Monia Jeguirim Essaidi, entrepreneure.
On a tout mis en œuvre pour boycotter la manifestation appelant à la reprise des activités et à la relance de l’économie. Certaines personnes ont même envoyé des messages prévenant les participants sur les risques sécuritaires et les informant que des snipers étaient prêts à tirer sur eux s’ils osaient s’aventurer sur l’Avenue Habib Bourguiba. Alors, cette avenue, qui a vu la consécration d’une révolution, se refuserait à des manifestants qui veulent la préserver et la sauver en maintenant le pays sur pied?
Des milices du RCD aux barbouzes de l’UGTT?
Les moyens d’intimidation virtuels n’ayant pas réussi à effaroucher les réfractaires à la paralysie du pays, des jeunes ont été poussés à faire barrage à l’évolution de la manifestation appelant au retour au travail sur l’Avenue Habib Bourguiba.
On en serait même venu aux mains n’eut été l’intervention de la police.
«Ceux-là, je les connais, ce sont des syndicalistes reconvertis apparemment en «barbouzes», s’écria une dame qui connaît très bien le milieu syndical et les représentants de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Parmi eux, des hommes d’âge mûr qui savaient clairement ce qu’ils faisaient, incitaient des jeunes dont l’âge ne dépassait pas la vingtaine à bloquer la route à la manifestation pour la reprise du travail. Parmi les slogans scandés par ces derniers: «Dégage ya khommaj» (Dégagez saleté). Ils sont allés jusqu’à déchirer les pancartes brandies par les manifestants.
C’est beau la démocratie!
Une dame travaillant dans les douanes tunisiennes s’est déclarée dépassée par la réaction des gens: «Je suis scandalisée par autant d’aveuglément, a-t-on seulement idée des pertes quotidiennes que nous enregistrons? Les entreprises offshore pensent déjà à délocaliser leurs activités si le pays continue à vivre dans ce chaos».
A discuter avec les jeunes, on réalise tout de suite qu’ils ne savent même pas pourquoi ils manifestent ou pourquoi ils appellent à la chute du gouvernement. «Je suis perplexe, ces jeunes n’ont pas d’arguments politiques, leurs connaissances de la réalité des enjeux sont très faibles. Ils contestent qui, pourquoi? Ils ne le savent pas. J’ai même entendu dire qu’on leur a demandé de venir moyennant un petit argent de poche. Comme ils n’ont rien à faire et rien à perdre, ils l’ont fait», s’écrie un jeune dirigeant. Pauvres de ces jeunes manipulés sans même savoir où ça les mène!
«Sales RCDISTES, n’êtes-vous pas fatigués de vous remplir les poches sur le dos du peuple? Suivez-nous si vous faites partie du peuple, sinon vous êtes des traitres». C’est ainsi que les mécontents s’adressaient à ceux qui appelaient au retour à la vie normale.
Etrange, ceci rappelle un autre son de cloche, celui que nous entendons très souvent: «Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous».
C’est comme ça que l’UGTT voit la démocratie? C’est comme ça que les forces progressistes considèrent la liberté d’expression? Qu’il n’existe qu’une voix que nous devons tous entendre, celle de la rue? Même si elle menace de nous mettre tous dans la précarité? Même si le tissu économique du pays se désagrège? Même si des entreprises font faillite? Même si des milliers de gens risquent de se retrouver au chômage et dans la rue?
Dans une rencontre à la télévision Hannibal, Ahmed Ibrahim, ministre de l’Enseignement Supérieur, a prévenu quant aux risques de dérapage. «Je tiens à prévenir le peuple tunisien aux risques qu’il encoure en continuant sur la voix de ces manifestations désordonnées et illimitées. Il y va de l’intérêt de la Tunisie que je place pour ma part au dessus de tous les autres intérêts et de tous les partis. Les menaces nous entourent de toutes parts. Je ne demande pas aux gens d’arrêter de manifester, je les prie de s’organiser et de permettre au gouvernement de se réunir au lieu de bloquer l’accès au Palais du Gouvernement à la Kasbah. Soyez vigilants et attentifs, ne laissez pas quiconque déraper mais surtout soyez respectueux et donnez-nous une chance de sauver le pays».
Une fidèle téléspectatrice a commenté en regardant le dirigeant libyen, Mouammar Gaddafi, parler de l’importance de la prise du pouvoir par le peuple et de l’autogouvernement, s’est exclamée sarcastiquement: «Finalement, c’est lui qui nous a compris»!