Dans le site humanite.fr, Pierre Ivorra saisit l’occasion des événements de la
Tunisie pour analyser ce qu’on pourrait qualifier des «liaisons dangereuses»
entre les multinationales et les pouvoirs. En effet, intitulé “Au bonheur des
multinationales et du pouvoir“, d’emblée pierre Ivorra estime que «pour mettre
enfin l’économie au service de la population, il faut aussi transformer ses
relations économiques avec les grands groupes étrangers, réviser les accords
contractés avec l’Union européenne».
Poussant sa réflexion, il constate d’abord que «la dictature de Ben Ali n’a pas
fait que des mécontents. Il n’est qu’à mesurer la très forte croissance de
l’implantation des multinationales étrangères, notamment françaises, dans le
pays». Et il n’a pas tort, car les chiffres parlent d’eux-mêmes: 1.350
entreprises tricolores sont installées en Tunisie ainsi que 350 à 400 sociétés
italiennes, presque autant d’allemandes et plusieurs grands groupes américains.
Sachant que les entreprises françaises sont parmi les plus importants employeurs
du pays, ce qui fait de la France par ricochet le premier partenaire économique
de la Tunisie.
Deux secteurs ont été développés par les entreprises de l’Hexagone, à savoir le
textile et les centres d’appels, et ce même si depuis quelques temps l’industrie
aéronautique française a pris pied dans notre pays. Par exemple, le no 1 mondial
dans le domaine des centres d’appels, en l’occurrence Téléperformance, a
délocalisé à Tunis une part croissante de son activité dans l’Hexagone. Orange
n’est pas en reste puisque le groupe télécoms français y a installé une partie
de ses services d’assistance… sans oublier qu’il a par ailleurs pris une
participation de 49% dans Orange Tunisie au côté du groupe Mabrouk, présidé par
un gendre de Ben Ali.
Toujours dans son analyse, M. Ivorra estime qu’une grande partie des difficultés
que connaît la Tunisie aujourd’hui est due à «cette extraversion de l’économie
tunisienne, tournée prioritairement vers l’exportation, le tourisme, plutôt que
vers un développement national». A partir de ce constat, il propose «de réformer
le système économique et social, notamment en révisant les relations avec
l’Europe».
Il rappelle, par ailleurs, que «la Tunisie est le plus ancien partenaire
maghrébin de l’Union, avec la signature en 1995 de l’Accord d’association,
prolongé en 2008 par l’instauration d’une zone de libre-échange industriel». Une
relation qui reste, selon lui, «très déséquilibrée dans la mesure où l’économie
tunisienne est cantonnée dans un rôle de supplétif des stratégies de rentabilité
des groupes européens, notamment de leur politique de baisse du coût du
travail».
Dans le même ordre d’idées, et contrairement aux idées reçues, Pierre Ivorra
dénonce les avantages accordés aux entreprises étrangères qui veulent
s’installer en Tunisie. Ainsi, il rappelle une récente étude de la Banque
mondiale selon laquelle «la Tunisie a été transformée en un paradis pour
multinationales… et que le régime offshore accordé aux entreprises exportatrices
offre plusieurs intérêts fiscaux et financiers (…) comme l’absence de taxe sur
l’importation de matières premières et d’équipements entrant dans le cycle de
production, une défiscalisation sur dix ans et le rapatriement gratuit des
profits».
Pour lui donc, «cette étude montre également que l’économie tunisienne reste
largement dominée par des activités à faible valeur ajoutée, nécessitant un
niveau de qualification peu élevé. (…) Seules 15% des personnes travaillant
aujourd’hui possèdent un diplôme universitaire».
Conclusion de l’auteur, «cette situation qui explique pour partie la révolte des
jeunes diplômés au chômage». Autant dire que les nouvelles autorités du pays se
doivent de reconsidérer la plupart des stratégies économiques de l’ère Ben Ali,
si on ne veut plus être confronté, à l’avenir, les difficultés actuelles.