Dans des déclarations tonitruantes, la France , la Suisse et l’Union européenne ont fait état de leur intention de geler les fonds du président déchu Ben Ali et de son entourage. Mais au regard de ce qui se passe réellement, il semble qu’il s’agisse tout simplement de pétards mouillés.
En plus clair, ces décisions de gel viendraient trop en retard. Une tendance qui illustrerait de manière éloquente le mépris de ces puissances occidentales vis-à-vis du peuple tunisien et leur attachement indéfectible à soutenir les dictatures même lors de leur chute.
Concernant la Suisse , le 19 janvier 2011, c’est-à-dire quatre jours après la fuite de l’ex-président tunisien, le Conseil fédéral a décidé de verrouiller, avec effet immédiat, les avoirs des clans Ben Ali. De l’avis de journaux genevois, tels que la Tribune de Geneve, «le gel des fonds par la Suisse vient trop tard». La lenteur de la réaction fait craindre à certains que des retraits massifs aient été effectués.
Pour mémoire, depuis 1991, le détournement de biens publics est considéré comme une violation des droits de l’Homme suite à une décision du Conseil Economique et Social des Nations unies.
La décision a été prise par le gouvernement sur proposition du ministère suisse des Affaires étrangères et annoncée par la présidente de la confédération en personne, Micheline Calmy-Rey. Elle ne signifie pas que des capitaux ont bel et bien été cachés en Suisse mais appelle les établissements bancaires, éventuellement concernés par des dépôts, à bloquer ces fonds.
Il s’agit en fait d’une mesure conservatoire censée empêcher que l’ancien président ne récupère les magots éventuels ou procède à leur transfert dans d’autres pays.
Le gouvernement suisse précise qu’il entend ainsi empêcher tous mouvements financiers avant que les autorités, désormais en place à Tunis, puissent présenter une demande d’entraide judiciaire permettant la récupération des avoirs.
Le 1er octobre 2010, les autorités fédérales suisses ont adopté la Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (PPE), loi sur la restitution des avoirs illicites (LRAI). Cette loi est entrée en vigueur le 20 janvier 2011, au terme du délai référendaire. Elle doit permettre de saisir et de confisquer des biens mal acquis par les PPE et de les restituer au bénéfice des populations spoliées.
Elle comblerait ainsi les lacunes législatives apparues au grand jour lors des affaires précédentes (Mobutu Sese Seko pour la République démocratique du Congo, et l’ex-président haïtien Jean-Claude Duvalier).
L’élaboration d’une législation fédérale à ce propos est saluée par la Déclaration de Berne. Ce texte étoffe en effet le dispositif légal destiné à lutter contre les flux financiers illicites. Il permet en particulier de saisir et de confisquer des avoirs illicites de PPE lorsque leur détenteur s’avère incapable de prouver que leur acquisition a été faite de façon légale. Ce «renversement du fardeau de la preuve» est le principal apport de ce texte de loi. Malheureusement, ce dernier demeure discutable sur de nombreux aspects.
Idem pour la France , la décision du gel devait être prise par décret, ce qui n’a pas été fait. Il a fallu que des Organisation non gouvernementales (ONG) comme Transparency International, Sherpa et la Commission arabe des droits humains déposent une plainte pour “recel de détournement de fonds publics” contre Ben Ali et son entourage familial pour que l’attention soit attirée sur les tergiversations du gouvernement français.
Cette plainte est déposée sur le modèle des plaintes déposées contre trois chefs d’Etat africains: Bongo (Gabon), Sassou (Congo-Brazzaville) et Obiang (Guinée Equatoriale).
Tout comme la presse suisse, les associations, à l’origine de la plainte contre trois chefs d’Etat africains, doutent sérieusement de la détermination des autorités françaises à saisir les biens immobiliers et mobiliers amassés par la famille de Ben Ali en France.
Les auteurs de la plainte doutent, également, de la volonté de Paris de restituer à la Tunisie les avoirs détournés par la famille Ben Ali au cours de ses vingt-trois ans de pouvoir.
Les analystes des relations tuniso–françaises sont unanimes pour avancer que «l’annonce d’un gel des avoirs de la famille Ben Ali en France était surtout un exercice de communication de l’Elysée».
La ministre de l’Economie, Christine Lagarde, a en effet précisé que les avoirs tunisiens dans les banques françaises étaient sous “vigilance particulière”, mais qu’il n’y avait pas de “gel des avoirs” car cela nécessitait une décision judiciaire ou internationale.
La France a, pourtant, ratifié la convention des Nations unies sur la restitution des avoirs détournés. Cette convention, dite Merida, pose le principe d’une coopération internationale en matière de blocage et de restitution d’avoirs volés dans le cadre d’acte de corruption par des dirigeants politiques ou d’entreprises. Mais pour agir, la France doit être saisie par la Tunisie. Ce qui n’est pas encore le cas.
Pour sa part, l’Union européenne a réaffirmé, vaguement, qu’elle étudiait la possibilité d’un gel des avoirs du président tunisien déchu Zine El Abidine Ben Ali et de sa famille, une décision à ce sujet devant être prise au plus tard dans une dizaine de jours (d’ici fin janvier).
Et pour ne rien oublier, en Tunisie, le président déchu ne peut pas, selon la loi constitutionnelle du 1er juin 2002, être poursuivi en justice. L’article 41 stipule entre autres que le président de la République bénéficie, au cours et après, l’exercice de ses fonctions de l’immunité judiciaire.
Selon les plaignants qui s’appuient sur des informations de presse, la fortune de l’ex-président est estimée à environ 5 milliards de dollars, notamment, des biens immobiliers, à Paris
Ils évoquent, dans leur plainte «de fortes présomptions quant au fait qu’elle ne serait pas le fruit des seuls salaires et émoluments».