Mercredi 26 janvier 2011, sous les cris des manifestants venus de tous bords pour revendiquer l’amélioration de leurs conditions socioprofessionnelles, Lazhar Karoui Chebbi, ministre de la Justice dans le gouvernement de l’unité nationale, a annoncé que la justice tunisienne vient de lancer un mandat d’arrêt international contre l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali et son épouse Leïla Trabelsi, réfugiés en Arabie saoudite. Ce mandat porte sur les chefs d’accusation de l’acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers et de transferts illicites de devises à l’étranger.
Neuf autres proches du couple présidentiel déchus, dont Belhassen Trabelsi en fuite, sont également visés par ce mandat.
L’information a été confirmée plus tard dans la journée par l’organisation de coopération policière internationale, Interpol, laquelle a émis une alerte qui comprend notamment “les noms et diverses informations” sur les personnes recherchées. L’avis demande aux membres d’Interpol de «rechercher, localiser et arrêter M. Ben Ali et ses proches en vue de leur extradition vers la Tunisie».
Un tollé général au sein des journalistes tunisiens…
L’annonce faite par le ministre de la Justice devant un parterre de journalistes tunisiens et étrangers, de plusieurs avocats et représentants de la société civile, a suscité un tollé général au sein des présents, notamment les journalistes tunisiens. De prime abord, les chefs d’inculpation ont été qualifiés de «provocants», ne reflétant pas l’extrême gravité des crimes commis par le président déchu et son clan contre le peuple tunisien.
De même, le ministre a «zappé» une question posée par un confrère sur l’article 41 de la Constitution tunisienne qui garantit au président déchu –et certains de ses proches- une immunité juridictionnelle durant et après la fin de l’exercice de ses fonctions, ce qui représente, le cas échéant, une bonne échappatoire «légale» pour Ben Ali. Sans doute aucun, le silence du ministre sur une question aussi sensible met encore de l’eau dans le moulin des détracteurs du gouvernement transitoire sévèrement accusé, par certains présents, de rechercher des «alibis juridiques», transformant ainsi la conférence en un grand prétoire ouvert à tous les vents. Passons.
Le ministre a souligné, en réponse à une question posée par Webmanagercenter portant sur les éventuels obstacles qui peuvent rendre impossible l’extradition de Ben Ali et ses proches, que même en l’absence des accords d’extradition avec certains pays, le mandat d’arrêt international ne laisse aucune chance aux inculpés de fuir la justice tunisienne d’autant plus que le mandat va mobiliser tous les membres d’Interpol pour arrêter et extrader Ben Ali et ses proches vers a Tunisie.
La liste des accusés et les chefs d’inculpation augmentent le courroux…
La liste des accusés, une autre révélation faite par le ministre de la Justice et tant attendue par les Tunisiens n’a pas réussi à apaiser le courroux des journalistes qui ont assisté à la conférence. Les causes directes de ce grogne: certains noms ne sont pas sur la liste (les Chiboubs, les Zarrouks, les mabrouks, Abdelwaheb Abdellah, Abdelaziz Ben Dhia, Rafik Haj Kacem,…) d’autant plus que les chefs d’inculpation reflètent, selon les confrères, de la situation de l’hésitation et de l’absence d’une vision claire, transparente et bien déterminée du gouvernement actuel.
Bon à souligner, M. Chebbi a mentionné que quatre affaires distinctes sont en cours d’instruction par les services judiciaires. Elles portent essentiellement sur les chefs d’inculpation suivants: «la conspiration contre la sureté intérieure, l’attentat ayant pour but d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres et l’acquisition de biens corporels mobiliers et immobiliers et les placements financiers illicites à l’étranger, en plus de la détention et de l’émission de devises par voie illégale, outre la tentative de transfert de devises sans préavis de la Banque centrale, l’introduction d’armes et de munitions sur le territoire tunisien et leur port, leur détention et leur commercialisation sans autorisation préalable ».
Le ministre appelle les détenus à réintégrer les prisons…
Par ailleurs, M. Chebbi a souligné que sur les 31.000 détenus dans les prisons tunisiennes, environ 11.029 se sont enfuis. En réponse à une deuxième question posée par Webmanagercenter portant sur les circonstances de l’évasion de ces détenus pour ne pas dire leur libération, le ministre a été catégorique dans sa réponse, en disant qu’une enquête a été ouverte et des instructions ont été données pour procéder aux constats nécessaires en vue de déterminer les circonstances de cette évasion et de délimiter les responsabilités.
Dans ce même cadre, le ministre a appelé les «évadés» à se rendre et réintégrer leur prison et profiter, le cas échéant, des mesures mises à leur disposition telles que «la liberté conditionnelle» et «l’amnistie générale». D’ailleurs, M. Chebbi a indiqué que suite à son appel lancé sur les ondes de la radio, 1.532 détenus se sont rendus de leur propre gré.
S’agissant des détenus qui sont morts au cours de ce dernier mois, le ministre a affirmé que les autorités ont recensé 74, dont la plupart (48 exactement) ont été enregistrés dans la prison de Monastir. «D’après les constats et suite à l’enquête menée par les autorités chargées de ce dossier, il s’est avéré que l’incendie a été provoqué par les prisonniers eux-mêmes», a-t-il affirmé.
A entendre le ministre de la Justice, le dossier de cette immense tragédie, sans exagération aucune, la plus grave de toute l’histoire de notre système carcéral, est définitivement clos.
Bref, M. Chebbi, ministre de la Justice dans le gouvernement d’unité nationale, a laissé les journalistes sur leur faim sur plusieurs questions, surtout des annonces et révélations qui n’ont pas réussi à calmer les esprits. Pis, elles n’ont fait que verser l’huile sur le feu.