Parmi les mécanismes autocratiques que l’ère Ben Ali a utilisés pour induire en
erreur la population, figure en bonne place la manipulation de l’information
économique et des statistiques. L’information économique, perçue en principe
comme outil d’aide à la décision et «tableau de bord» propre à améliorer la
visibilité des marchés d’exportation et des opportunités d’investissement, est
devenue, pour les ministres de Ben Ali, un champ privilégié pour dire n’importe
quoi et faire n’importe quoi.
A titre indicatif, les statistiques de la Banque centrale de Tunisie diffèrent
de celles fournies par le Premier ministère et l’Institut national des
statistiques (INS). Pis, les indicateurs locaux sont toujours gonflés par
rapport à ceux publiés par les instances internationales.
Par ailleurs, les nombreux rapports publiés, annuellement, sur les activités
économiques du pays, se distinguent par leur inconsistance, inanité et
inutilité.
Et pour cause. Ils ne comportent pas d’informations d’aide à la décision. Pour
en trouver, il faut désormais recourir à des sites électroniques plus avertis ou
s’abonner à des supports confidentiels étrangers.
Ces rapports administratifs, qui pèchent par leur criarde positivité, par leur
penchant pour la généralité et par leur publication tardive, se ressemblent et
se répètent, lorsqu’ils ne se contredisent pas. La valse des taux et des
chiffres est le sport favori de ces documents. Le taux de croissance tout comme
le volume des Investissements directs étrangers (IDE), le nombre des emplois
créés, varient d’un département à un autre.
Ces documents n’abordent jamais les véritables problèmes qui peuvent intéresser
journalistes et décideurs d’investissement. A aucun moment ces documents
n’évoquent, de manière précise, comment le taux de croissance annuel du PIB a
été réalisé. Les mêmes documents vont jusqu’à faire abstraction des catégories
sociales, des régions et des groupes économiques qui ont contribué à sa
réalisation…
Le black out est aussi observé en matière de budget. Aucune information ne
filtre sur la ventilation de tel ou tel ministère. Résultat: l’opacité totale.
Nous ne savons rien sur les affectations et ventilations des budgets de la
présidence et du ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui, à la faveur de la
révolution, nous savons un peu plus où va l’argent. C’est, entre autres, pour
financer les milices de Ali Seriati et compagnie…
C’est pour dire que la diversité des chiffres et données est telle que les
utilisateurs de cette information ne savent plus s’ils ont affaire à un seul
gouvernement ou à une multitude de gouvernements.
Et même lorsque le pouvoir engage une réflexion pour améliorer la situation, il
en sort avec des professions de foi sans lendemain. La raison est simple.
L’administration n’a jamais été et ne sera jamais un bon fournisseur
d’informations économiques. Celle-ci est toujours contrôlée et positive.
Moralité : nous estimons, quant à nous, que l’information économique, au sens
moderne, n’a jamais existé en Tunisie.
Elle n’existera que lorsque certains préalables seront réunis. Au nombre de
ceux-ci, figurent la publication et la mise à la disposition du public du
rapport annuel de la Cour des comptes, la publication obligatoire sur le net des
procès verbaux des conseils d’administration des entreprises, la création d’un
syndicat totalement indépendant pour la défense des consommateurs, l’accès des
journalistes aux justificatifs des résultats d’appels d’offres publics et
l’association des universitaires, économistes et divers experts à la
vulgarisation des questions micro et macroéconomique.
La promotion de cette information en Tunisie demeure, également, tributaire du
degré de détermination des partenaires économiques coopératifs (chefs
d’entreprise, administrations) à mettre à la disposition, en temps opportun, des
journalistes des informations appropriées et actualisées (rapports,
communications financières, nouveautés, lois de finances, budget de l’Etat…), à
bien distinguer entre l’information économique en tant qu’outil d’aide à la
décision et la publicité, et à intensifier l’élaboration d’études
socioéconomiques et sociales sur les attentes des consommateurs et des
entreprises.
Tout un programme.