Le spectacle ne peut ne pas attirer l’attention: devant le présentoir des kiosques de journaux, les resquilleurs d’informations (ceux qui n’achètent pas le journal mais prennent gratuitement connaissance des nouvelles du jour) forment comme de petits groupes de badauds et lèchent des yeux la Une des tabloïds devenue depuis quelques semaines très importante. C’est surtout du côté des acheteurs réguliers que le spectacle est le plus édifiant. Jamais, durant les 23 dernières années, le commun des Tunisiens ne s’est intéressé réellement à la vie nationale. Et pour cause: la photo du président déchu trônait quotidiennement à la Une de tous les journaux avec, pour commentaire des activités du palais, une seule appréciation invariable et générale: «Tout est bien. Très très bien». A telle enseigne que souvent l’on s’est demandé si nous n’étions pas le pays le plus riche au monde, le plus démocratique, le plus stable, le plus beau, avec une croissance économique record que même la Suède et les Etats-Unis ne connaissent pas. Sachant donc à quel point la Une des quotidiens, notamment, était devenue la vitrine du mensonge par excellence, les Tunisiens n’y prêtaient pas la moindre petite attention, ou, tout au plus, parcouraient les titres d’un œil distrait, indifférent.
S’il est permis, sans sondage scientifique aucun, d’établir, par ordre d’importance, les pages les plus suivies par le commun des lecteurs, on va trouver à la première place le football, suivi immédiatement par les…mots croisés ou fléchés. Seuls les chefs d’entreprise s’intéressaient peu ou prou à l’économie.
L’international arrivait après: la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan, les Talibans et Al Qaïda lorsqu’il lui arrivait de faire parler d’elle. Grosso modo, c’était cela la préoccupation des Tunisiens.
Or, depuis le 14 janvier, il y a eu soudain un regain d’intérêt inhabituel, sans précédent, extraordinaire, pour la vie nationale. Depuis la chute du tyran, la page la plus visitée, la plus lue – ligne par ligne– est précisément la Une des journaux. Tout le monde est à l’affût de toute information, même succincte, pouvant l’édifier sur le présent et le devenir du pays.
Côté télévision, c’est – ne vérité qu’il faudrait dire sans s’en offusquer– la chaîne Al Jazeera qui arrive en tête, même si elle se plaît parfois à exagérer les choses. Elle est immédiatement suivie par les chaînes tunisiennes, Al Arabyya, Al Moustaqilla et… France 24. A travers ces chaînes, la même préoccupation: une info supplémentaire sur la vie nationale.
Il faut dire aussi que la suspension des compétitions sportives y est pour quelque chose. D’ailleurs, hier mardi 25, vers 14 heures, un groupe de jeunes, entassés sur les marches du complexe Le Palmarium, criaient à l’unisson pour le retour du championnat de Tunisie.
A faire remarquer également que la vie culturelle est comme mise en veilleuse: rien ne bouge. C’est comme un chômage technique pour les journalistes culturels qui ne trouvent pas matière à annoncer ou à critiquer.
Mais ce n’est pas cela qui a ramené les lecteurs vers la vie nationale. L’on assiste à un regain de confiance en la presse écrite qui, soyons-en certains, va se départir une fois pour toutes de sa langue de bois, de son autocensure, de ses mensonges, pour tout dire.
Et ça, c’est un acquis inestimable. Pour tout le monde. Pour la Tunisie en premier lieu.