Suite aux événements dits de “La Kasbah” et les multiples rumeurs qui ont été propagées autour de “la Caravane de la liberté”, nous étions perplexes et sceptiques, surtout après les affrontements du vendredi 28 janvier 2011 entre les forces de l’ordre et les manifestants à La Kasbah. Et pour avoir le coeur net, nous nous sommes rendus à la Place du gouvernement pour en savoir plus, et tater au passage le pouls de la situation. Récit.
Je me suis donc décidée de me rendre sur les lieux et de savoir ce qui s’est réellement passé ce jour là. Arrivée sur place ce lundi 31 janvier, je constate une ambiance tendue, il y avait de la tristesse dans l’air. La Place du gouvernement était vide, à part les militaires et les forces de l’ordre, qui encerclaient La Kasbah, personne n’entrait et personne ne sortait, on se croirait à Gaza en Palestine. J’étais donc obligée de faire le tour et de prendre la venelle qui menait au Palais de justice, sur la rue Bab Bnet.
Sur les lieux, j’aperçus un policier qui discutait avec deux dames, je me suis précipitée vers eux. Le policier était en train de donner sa version des faits sur ce qui s’est passé le vendredi. Il affirme qu’il y avait des infiltrés parmi la caravane de la liberté et que les policiers qui sont intervenus ce jour-là, à La kasbah, ne sont pas ceux qui se trouvent aujourd’hui sur les lieux. Au passage, il dira que «le ministre de l’Intérieur n’est pas la seule personne qui donne des ordres et que ce dernier avait bien fait de limoger certains directeurs». Quant à la dame, qui se tenait à ses côtés et qui habite à la Medina, elle affirme que les manifestants qui étaient à La Kasbah sont des personnes dignes et courtoises, des personnes d’un certain niveau intellectuel. Elle m’a expliqué que pendant le séjour de la Caravane de la liberté, des milices, selon elle, se rendaient constamment à la Place du gouvernement pour proposer de l’alcool et du cannabis aux manifestants lesquels refusaient, persuadés que c’était de la manipulation pour les discréditer.
Le gouvernement a bon dos
Un peu plus loin et devant le Palais de justice, précisément, l’atmosphère était brassée de colère et de douleur; une foule d’avocats et de citoyens s’est réunie, discutant les faits de La Kasbah. Les avocats m’ont affirmé que les manifestants n’ont pas agressé les forces de l’ordre, mais ce sont plutôt les milices qui étaient sur la rue Bab Bnet qui ont jeté des pierres sur la police. Ils affirment que les forces de l’ordre, après avoir été agressées par les infiltrés, ont tiré des bombes lacrymogènes, d’une manière excessive, sur les manifestants de la Caravane de la liberté.
Quant à maître Chawki Tbib, elle m’a indiqué que le président de l’Ordre des avocats, M. Kilani, a contacté, vendredi, à 16h, Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre, et lui a expliqué que les forces de l’ordre allaient attaquer les manifestants. Ce dernier lui aurait dit de parler avec les manifestants et de leur demander de former un comité qui les représentera. Le Premier ministre devrait rencontrer ce comité le jour même. Il aurait ajouté que le gouvernement n’a pas ordonné l’évacuation de La Kasbah. De ce fait, M. Kilani aurait envoyé quelques avocats pour expliquer aux manifestants les dernières nouvelles et pour s’expliquer auprès des policiers, sauf que c’était trop tard!
Une rencontre, pas comme les autres
Soudain, des personnes de la Caravane, incarcérées depuis vendredi, sont relâchées. Ils étaient mis dans un bus de l’armée qui allait les éconduire jusqu’à chez eux. Je n’ai pas pu les voir, puisque le bus roulait à grande vitesse, tout ce que j’ai pu voir c’est leurs mains qu’ils levaient pour saluer les avocats, comme un geste de remerciement.
Perdue dans cette foule où les cris s’amplifient, une main se mit sur mon épaule, je me retournai et aperçus un visage étranger. Avec une voix douce que je parvins à peine à entendre. L’individu me demanda: «vous êtes journaliste? Si oui est-ce que vous pouvez filmer mon témoignage?»
En effet, Abdelwahed, un jeune de la caravane de la liberté, venu de «Sélyana», m’a parlé de plusieurs choses: de l’injustice, de l’arbitraire, du chômage, de la révolution, de la liberté… Une conversation longue et riche. Avant de partir, il me regarda droit dans les yeux et me confia, déçu: «nous nous sommes sacrifiés pour abattre la dictature et aujourd’hui ils nous insultent et nous renvoient de notre Tunis».
Une phrase accablante et qui dit tout sur la vérité de plusieurs d’entre nous. J’avais les larmes aux yeux, je voulais fuir les lieux, partir loin de cette foule. Sur mon chemin, je réfléchissais à ces personnes courageuses et persévérantes, qui ont lutté pour la liberté; ces personnes opprimées et réprimées, qui ont connu la souffrance et l’indignation, ces patriotes aux valeurs louables. Oui, la vérité apparaîtra, jaillira, triomphera tôt ou tard!