Nous étions des téléspectateurs jouisseurs, fans de talk-show, nous voilà portés sur l’information politique, grands amateurs de JT. La Révolution est passée par-là. Du coup, nous rejoignons la norme mondiale.
Le rendez-vous annuel de SIGMA Conseil, qui en est à sa dixième édition, est un moment magique. Il agit sur les participants, telle une thérapie bienfaisante. Hassen Zargouni, DG du cabinet d’études, en fait un instant d’exploration de nos mœurs cathodiques et un décryptage du bilan des actualités pour l’année. On en sort éclairé tant la grille de lecture des événements est édifiante et aide à voir clair.
Le patron de SIGMA, qui s’est rodé à la technique, fait un show, bien au point. C’est un mix entre Jacques Séguéla et Alain Minc. Eh oui comprenez bien, Il parle du métier mais très vite, il n’y a pas moyen de le retenir, il switche vers l’économie et pis encore, la p-o-l-i-t-i-q-u-e! Détendez-vous, la révolution a fait son effet. On est libres! Et même si la minute de silence a manqué, toute la séance était dédiée à la Révolution et à la gloire des martyrs de la Tunisie, ceux-là même qui nous ont apporté la liberté et restauré notre dignité. Et en prime, on découvre que la Révolution a également rectifié nos comportements devant le petit écran. Il ne faut pas le prendre sur un ton narquois, c’est sérieux.
L’émancipation de la télé: fini le divertissement
Il y a un trait d’exception en Maghrébie. Nous sommes accros à la télé. On est proche, semble-t-il, du record mondial des temps d’audience. On s’occupe comme on peut. Et, en Tunisie, nous sommes au top. Ajouter qu’on y met les moyens. Nos foyers sont suréquipés. Jugez-en, il existe 1,5 poste de télé par ménage et on s’est mis au goût du jour car 40% du parc télé est en écran plat. Les paraboles sont présentes dans un foyer sur deux et pour les décodeurs, c’est l’orgie romaine.
La Tunisie, après avoir libéré la télédiffusion et la téléproduction, a permis de redresser une première fois nos habitudes télévisuelles. Les téléspectateurs se sont conciliés avec les chaînes locales qu’ils regardaient à plus de 60%. Ils ne regardaient plus les chaînes arabes satellitaires que de manière sélective, c’est-à-dire en choisissant leurs émissions favorites. Les chaînes du Nord, essentiellement françaises et italiennes, n’arrivaient qu’en troisième position et à faible taux d’audience.
Que regardaient les Tunisiens auparavant? La télé étant réduite à un exutoire, alors ils se divertissaient. Talk show et feuilletons composaient l’essentiel du menu. Ils aimaient rire, se détendre et avoir de l’émotion. Les télénouvelas larmoyantes arrivaient en tête. On «chialait» un bon coup, nous désolant des malheurs de «Rakelle» et de l’absence de libertés dans notre pays. Et, grande révélation des temps anciens, ajoute Hassen Zargouni, au moment du JT, eh bien, on zappe. C’est notre manière de résister à l’arbitraire, on baisse le rideau.
Arrive, enfin, le jour de gloire
Pile après le 14 janvier, le téléspectateur tunisien nouveau, est né. Les chaînes locales font 60% d’audience. Et le JT du 20 heures retrouve son temps de noblesse avec 25% environ. Exit les talk show, ce sont les débats politiques qui occupent le devant. Quelques mesures d’audience ont été révélées. Nejib Chebbi a fait 22% à sa première apparition. Un grand score et cela a fait jaser. D’aucuns le voyaient déjà en campagne. Ahmed Ibrahimi a fait davantage. Avec 24%, il éclipse le colonel Kaddafi. Petit couac toutefois, Faouzi Benzarti est passé devant Gilbert Naccache. Avons-nous si vite repris nos vieux réflexes «déformés» de chérir le foot. La raison, selon nous, est que l’auteur de «Crystal», ouvrage rédigé sur les paquets de cigarettes de même nom pendant son incarcération pour motif de combat politique, s’était exprimé en langue française.
Dans l’ensemble, la télé se réapproprie, grâce à la révolution, un profil présentable. Ce n’est plus un outil de dépravation mais un vecteur d’information, et c’est là précisément tout l’intérêt. En effet, la télé devient un vecteur d’affaires pour les opérateurs car le comportement du téléspectateur devient rationnel et grâce à la révolution, il retrouve sa souveraineté politique et sa normalité cathodique.
Vive la Révolution!