«J’ai emmené mon fils à l’hôpital pour lui enlever le plâtre, nous avons été surpris par une manifestation devant le ministère de la Santé. A notre sortie, 4 heures après, la manifestation était toujours là, les manifestants n’étaient plus les mêmes. Je rentre chez moi et à mon passage par la place Bab El Khadra, il y avait aussi des mécontents qui contestaient je ne sais trop quoi. J’ouvre la Radio et je me retrouve devant une suite sans fin d’informations sur des manifestations sans fin… Et mon fils de s’écrier, maman, je n’en peux plus de ces manifestations, demande à papa de nous emmener vivre en France». Edifiant!
Cette dysenterie de manifestations provoquées pour tout et rien dans notre pays, qu’on pensait au début un signe de bonne santé, risque de se transformer en un fléau qui mènera le pays, déjà fragilisé par un pillage systématique, à sa perte.
En guise de revendications? “Ces contractuels sont payés beaucoup mieux que nous, ils doivent «dégager»“. “Nous ne voulons pas reprendre la double séance, mobilisons-nous“. “Notre PDG a un fils marié à la cousine du cousin de la cousine de la belle-famille de Leila, lynchons-le“. “Nous avons été licenciés, depuis 5, 10 ou même 15 ans (peu importe les raisons, même si elles sont très peu avouables) nous voulons reprendre nos emplois au nom du sang de nos martyrs…“ (sic). “Nous voulons des augmentations de salaires tout de suite, le budget? Ce n’est pas notre problème, débrouillez-vous“.
Mille et une raison pour manifester, semer la zizanie, interrompre le travail ou s’attaquer aux hauts responsables sans parler des grèves décrétées par l’UGTT qui nous prouve de plus en plus son patriotisme. Notre chère organisation syndicale, financée par les deniers publics grâce entre autres à l’appui du Premier ministère qui impose aux entreprises publiques de s’acquitter des adhésions des employés (9 à 11 dinars par personne) n’arrête pas de faire de la pression profitant de la fragilité du pays. Elle veut se placer en tant que partenaire incontournable dans toute espèce de négociations, politique ou économique. Apparemment, le social ne fait plus partie de ses priorités.
Et pourquoi pas un parti travailliste tant qu’elle y est, au moins ses revendications politiques deviendront plus claires et plus légitimes!
Pour nombre de hauts responsables et de managers, exercer leurs fonctions relève aujourd’hui de l’insupportable: «Nous sommes passés directement de la dictature Ben Ali à celle des opportunistes et même des incompétents. C’est décourageant et j’ai bien peur que l’on préfère partir plutôt que d’avoir à subir quotidiennement les injures, les insultes et les violences verbales de certaines personnes intéressées et dénuées de tout sens de la responsabilité», a déclaré avec amertume un haut fonctionnaire.
Traînés dans la boue
Et pour cause, ils sont trainés dans la boue sur les réseaux sociaux, des individus dénués de tout sens moral et de tout scrupule répandent à tous vents de fausses rumeurs à leurs sujets, et leur rendent la vie impossible. Tous ceux qui veulent régler des comptes, ayant pris conscience du poids des réseaux sociaux, s’en prennent à cœur joie et usent sans vergogne de toutes sortes de stratagèmes et d’informations toxiques.
Les autorités publiques laissent faire. Elles ont d’autres priorités! Est-ce à dire que s’attaquer aux leaderships politiques, économiques et médiatiques du pays doit être considéré comme quantité négligeable?
Oui, il y a eu des complices et des profiteurs, des mafieux, tous les autres doivent-ils payer de leur statut, de leur position et de leur intégrité les malversations et les abus des corrompus?
Devons-nous les mettre tous dans un même sac et les jeter à la mer?
«Des manifestes, il y en a aujourd’hui à la pelle, et dans toute entreprise publique et tous exigent l’ouverture d’enquêtes sur la corruption. On s’est passé le mot, tous les hauts cadres et les cadres au sein des ministères et des administrations publiques sont corrompus et ont trempés dans des affaires louches. Ils sont tous coupables jusqu’à ce que l’on prouve leur innocence, et non l’inverse.
Les experts et les consultants sont accusés d’être surévalués par rapport à leurs compétences.
A Tunisie Télécoms et suite au départ précipité de Montassar Ouaili, ancien PDG, on a commencé à sommer tous les contractuels, qui ont rejoint la compagnie pour la mettre à niveau et lui donner le poids et la dimension qui lui permettent de faire face à un environnement très concurrentiel, de partir.
Ces derniers sont en bute aux agressions de toutes sortes de la part des agents et employés de la compagnie qui n’hésitent pas à distribuer des tracts et des communiqués anonymes aux médias pour médire d’eux. Ce qu’on veut, c’est se suffire des compétences déjà existantes au sein de TT, même si elles ne possèdent pas les profils qui leur permettent de mettre la compagnie aux standards internationaux. «Soyons égaux dans les salaires, les indemnités et les privilèges, c’est notre priorité. La compétence, elle, ne semble pas être une priorité et ne mérite pas récompense». C’est ce que semble dire un certain nombre de personnes. Ils oublient toutefois que TT, c’est plus de 8.000 employés face à des concurrents dont le nombre d’employés ne dépasse pas les 1.500 et que s’ils continuent à ce train là, leur compagnie sera fragilisée à tel point que dans deux ou trois ans, on sera peut-être obligé de licencier une grande partie de son effectif.
Ce qui nous renvoie à cette blague dans laquelle Dieu demande à un Américain, Français et Tunisien ce qu’il veut, lui promettant d’accorder le double à son concitoyen, et le Tunisien de lui demander alors de lui transpercer son œil…
Que nous arrive-t-il? Tous les employés, fonctionnaires et agents du pays se sont transformés en enquêteurs disposant de toutes les preuves leur permettant et les autorisant à juger leurs supérieurs, les obliger à démissionner ou les diffamer? Et si quelqu’un proteste, on le traite illico presto de «traitre RCDiste»…
Vivons-nous aujourd’hui dans un pays incapable de protéger ses élites? Un pays qui, après avoir laissé ses ressources financières et matérielles se faire dilapider par une mafia institutionnalisée, finisse par perdre ses ressources humaines et ses compétences?
Avons-nous rêvé cette Tunisie? Avons-nous rêvé des managers qui ont aujourd’hui peur d’administrer leurs personnels? Avons-nous rêvé des compétences terrorisées et touchées dans leur intégrité et dans leur dignité?
Rappelez-vous, cette révolution s’appelle «la révolte pour la dignité», le plus important n’est pas de savoir la dignité de qui? Le plus important c’est de préserver la dignité de ceux qui le méritent.
J’ai bien peur qu’elle ne serve à la perte de la dignité de beaucoup de personnes qui en attendaient beaucoup plus.