La chaîne Alwatania nous gave, ces jours-ci, de reportages sur les exactions et privations dont pâtissent l’ensemble des Tunisiens de Tataouine jusqu’à Tabarka au point que les valeurs prônées par la révolution (dignité, travail, liberté) sont occultées au profit d’un hymne à la misère humaine.
Les Tunisiens découvrent, à la faveur de ces reportages, que le modèle de développement suivi depuis 1956, a été tout simplement un échec cuisant, particulièrement dans les localités à dominante rurale.
Au regard de ces reportages, c’est l’âge de pierre. La touche de l’homme n’y figure nulle part. Rien n’a été fait. Privées de commodités élémentaires: dispensaires, écoles, routes, les localités, douars, villages visités sont livrés à eux-mêmes.
Pis, même les multiples sacrifices consentis par les parents pour éduquer leurs enfants et leur garantir un avenir meilleur que le leur ont été vains. Dans ces contrées, l’éducation, loin de jouer son rôle d’ascenseur social, a reproduit les inégalités régionales et les a même aggravées puisque les jeunes originaires de l’intérieur, après avoir décroché leurs diplômes, viennent gonfler les essaims de chômeurs.
Dans les villes, c’est la sous-traitance généralisée qui est désignée du doigt. D’importants pans de la société se sont révoltés contre la précarité de leur emploi et de la modicité de leur rémunération. Femmes de ménages, occasionnels, intérimaires et ouvriers agricoles déplorent la modicité de leur rémunération (de loin en deçà du SMIG et du SMAG).
Pour sa part, la centrale syndicale, qui n’est pas saine qu’on le pense, s’est découverte une nouvelle virginité. Elle a mis à profit cette confusion pour lâcher ses troupes et autoriser des grèves aux relents corporatistes primaires, compliquant encore davantage la situation.
Par-delà, la justesse et la noblesse de la cause de ces communautés en révolution, édentées, en haillons et laissées pour compte à la faveur d’une indépendance confisquée, des questions s’imposent. Où en est la révolution avec cet étalage de tant de misères, de problèmes sociaux et professionnels? A qui profitent ces reportages qui cultivent la haine sociale? Existe-t-il de nos jours un gouvernement dans le monde qui puisse résoudre cette avalanche de problèmes? Pour qui roule Al Watania? Qui a ordonné de tels reportages que personne ne peut actuellement arrêter puisque chaque douar et chaque bled revendique sa part? Où en est le débat politique révolutionnaire?
Est-il besoin de rappeler que l’heure est à la révolution et non aux revendications sociales. Le débat ne peut être que hautement politique, c’est-à-dire un débat de rupture irrévocable avec le passé? Conséquence: l’opportunité d’un débat sur les revendications sociales et professionnelles est, à notre avis, un hors sujet.
En plus clair, le discours politique qu’il faudrait tenir face à ces révolutionnaires doit être avant tout sécurisant et rassurant quant à un avenir meilleur qu’il faudrait désormais partager sans exclusion aucune. Ce discours ne doit pas être, surtout, caritatif comme le laissent entendre ces reportages. Un tel discours doit donner de véritables perspectives de vie digne et décente.
Hélas, ce discours paraît actuellement un idéal, voire une simple fiction au regard de l’amateurisme de la chaîne publique Al Watania et de l’absence de véritables hommes politiques dans le gouvernement provisoire.
Le seul espoir réside dans les espaces de vigilance dont les animateurs (les grévistes de la place Al Kasbah entre autres) s’étaient engagés à dissuader toute confiscation de la révolution et toute migration vers des objectifs qui ne sont pas les siens.
Autre rempart, celui qu’on appelle «le triangle des Bermudes», Kasserine, Gafsa et Sidi Bouzid. Les révolutionnaires purs et durs de ces régions, ces terres des hommes libres où est tombé le plus grand de martyrs, sauront, également, veiller au grain.