La radio et la télévision sont devenues, ces derniers jours, un des acteurs de l’espace public. Mais attention, s’ils sont un passage obligé –sinon le seul passage obligé– pour quiconque souhaite faire valoir ses opinions, les médias audio-visuels peuvent faire des victimes.
Outils de propagande ou largement contrôlés pour ne pas toucher aux débats qui dérangent les médias audio-visuels se libéralisent en Tunisie. Ils sont devenus libres et un des acteurs de l’«espace public» au sens donné à ce concept par le philosophe allemand Jürgen Habermas. Le professeur canadien Alain Letourneau est, sans doute, celui qui a le mieux défini pour le grand public ce concept en affirmant que l’espace public «est un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun». En ajoutant que cet espace «a pour but de médiatiser la société et l’État, en tenant l’État responsable devant la société».
Dépassons ce langage de spécialiste pour dire que la télévision et la radio tunisiennes se sont saisies, depuis le 14 janvier 2011, de la chose publique assurant par la même le rôle qui doit leur revenir dans une société démocratique. Celui de porter le débat et de le fructifier. Dont celui d’assurer un engagement citoyen pour une société plus juste.
Ce rôle joué par la radio et la télévision semble, d’ailleurs -force est de le constater-, primordial. Certains vont plus loin en soutenant qu’ils focalisent le débat rejoignant dans ce sens les nombreuses théories sur «la dictature des médias audiovisuels» et sur le fait qu’ils sont devenus, dans nos sociétés, un passage obligé –sinon le seul passage obligé – pour quiconque souhaite faire valoir ses opinions.
Un rôle d’autant plus primordial que la situation dans le pays ne cesse d’aider radio et télévision à le remplir. L’insécurité et le couvre-feu y sont pour quelque chose. Elle ne favorise pas l’organisation de débats dans un climat de sécurité. Même si des mouvements politiques ont organisé de nombreuses grandes réunions dont certaines ont ressemblé à des messes électorales.
«Amorcer leurs campagnes électorales»
A propos de messe électorale, des voies se sont élevées récemment pour soutenir que des hommes politiques ont profité des émissions auxquelles ils ont été invités ou encore des couvertures assurées par la radio et la télévision à certaines de leurs activités pour «amorcer leurs campagnes électorales». Cela a été notamment dit à l’endroit d’un ministre du gouvernement de transition par un député, lundi 7 février 2011, à l’occasion du vote par la Chambre des députés du projet de loi habilitant le président de la République par intérim à prendre des décrets-lois.
Tout observateur ne peut, à ce propos, occulter le fait que les colonnes des journaux –ou certains-mais aussi les discussions des cafés du commerce, pour utiliser une expression largement connue pour identifier ces lieux où tout et son contraire peuvent être dits, ne manquent pas de commentaires sur les faits et gestes de ceux qui sont présents sur les plateaux de la radio et de la télévision.
Le ministre des Affaires étrangères du –deuxième- gouvernement de transition, M. Ahmed Ounaïes, a été une des victimes de ce quasi accaparement, de nos jours, des médias audiovisuels de l’espace public. Les employés du ministère l’ont poussé, le 7 février 2011, à quitter ses bureaux, mécontents de sa prestation la veille sur la chaîne Nessma TV.
De nombreux exemples ont montré que radio et télévision sont, pour ainsi dire, des outils «à double tranchant». Le sociologue des médias, le canadien Marshall Mcluhan, a averti, depuis les années soixante, sur cet aspect. En introduisant sa théorie sur les médias «froids» et les médias «chauds», selon qu’ils «ne laissent à leur public que peu de blancs à remplir ou à compléter» (presse écrite, radio, cinéma) ou au contraire exigent une participation importante du récepteur (télévision, téléphone), selon l’expression de Xavier Molénat, journaliste scientifique français.
A l’origine de cet état de fait également, l’impréparation et des médias et des acteurs de la vie publique à cette libération de la parole. N’oublions pas qu’il y a moins d’un mois les débats à la radio et à la télévision étaient, pour ainsi dire formatés. Liste des invités, diffusion en direct ou en différé, contenu des conducteurs des émissions, convocation des responsables des chaînes,… : tout un arsenal de «mesures» favorisaient la mainmise de l’Etat sur la parole.