La
finance islamique a fait son entrée en Tunisie depuis des décennies avec
l’agrément donné à la BEST (Al Baraka actuellement) en tant que banque
non-résidente. Elle a joué un rôle dans de certains grands projets, notamment
l’aménagement des Berges du Lac de Tunis mais aussi dernièrement le projet TIFERT de la Société anonyme tuniso-indienne des engrais, financé en partie par
la Banque islamique de développement (BID).
Mais la finance islamique n’a été connue et largement débattue par les Tunisiens
qu’après l’agrément éclair donné par l’ancien régime à l’une de ses composantes
afin de créer une banque de détails islamique en Tunisie, à savoir Banque
Zitouna.
Bénéficiant d’un statut de position dominante et lancée en grandes pompes, cette
institution s’est accaparée malheureusement la finance islamique en Tunisie.
Maintenant que les vents de la révolution ont balayé l’ancien régime, il serait
fatal pour l’économie tunisienne de renoncer à la finance islamique, qui était
conçue comme un fonds de commerce par l’ancien régime mais qui peut constituer
un vrai moteur de relance de l’économie et de l’emploi. Il serait ainsi
judicieux de profiter des outils offerts par la finance islamique afin d’aider
l’économie tunisienne à se relever après les marasmes du pillage et de la
mainmise de l’ancien régime et de ses différents clans.
L’objectif étant de relancer l’économie tunisienne sur des nouvelles bases,
innovantes et créatrices de richesse et ce dans la transparence totale et dans
le respect des règles de la concurrence loyale. Notre but à tous est d’attaquer
frontalement ce fléau qui ronge la société et l’économie tunisiennes, en
l’occurrence le chômage notamment celui des diplômés de l’enseignement
supérieur.
La finance islamique offre ainsi, grâce à la Musharaka, Mudharaba ou la Zakat,
une bonne opportunité pour relancer l’entreprenariat, seul moyen de création
d’emplois (I). De même, elle offre à l’Etat tunisien un outil de financement
très intéressant à savoir le Sukuk (II).
I- Le rôle de la finance islamique dans la relance de l’entreprenariat
La liberté d’entreprendre a été touchée de plein fouet en Tunisie depuis la
montée des clans de l’ancien régime qui n’ont pas lésiné à ratisser largement
l’économie tunisienne, s’appropriant des pans entiers et ciblant les secteurs à
fort retour sur investissement.
Il était impossible pour chaque Tunisien ou investisseur étranger de lancer des
projets en Tunisie sans la bénédiction du clan qui se traduisait par de la
corruption ou tout simplement un partage du capital du projet. Mme Laurence
Parisot, présidente du MEDEF en France, a relayé le témoignage du dirigeant
d’une très grande entreprise française qui souhaitait s’installer en Tunisie
mais qui a dû aller voir ailleurs à cause de la gourmandise du clan.
Imaginons juste un instant si cette entreprise était, par exemple Renault ou PSA-Citroën
et que le projet était la création d’une usine d’assemblage de voitures en
Tunisie, quel est le nombre de personnes qui auraient pu être embauchées grâce à
ce projet!
Maintenant que l’entreprenariat, espérons-le tous, a été libéré des convoitises
des clans et que la concurrence libre et loyale peut s’installer notamment dans
le domaine de la finance islamique en Tunisie, et afin d’absorber une partie des
demandeurs d’emploi, la finance islamique offre des outils majeurs qui peuvent
encourager l’initiative: la Musharaka, la Mudharaba ou les microcrédits à
travers les fonds «Zakat».
A noter que la Musharaka est un contrat d’association par lequel l’institution
financière, avec un ou plusieurs partenaires, contribue au financement de
projets ou d’opérations ponctuelles. Les profits ou les pertes résultant de
l’opération sont répartis entre le client et la banque sur des bases fixées en
commun accord entre les parties au prorata de leurs apports respectifs.
On distingue deux types de Musharaka (i), la Musharaka définitive, où le but
pour les partenaires est de rester impliqués dans le projet de façon définitive
et (ii) la Musharaka moutaniquissa (dégressive), où les apporteurs de fonds ont
l’intention de se retirer du projet. L’entrepreneur remboursera selon un
échéancier prédéterminé.
La Mudharaba est un contrat par lequel l’institution financière ou plus faisant
l’apport du capital dit “Rab-al-mal” apporte l’ensemble des capitaux financiers
nécessaires au projet sans intervenir dans la gestion à l’entrepreneur dit “Moudharib”
qui lui va apporter son capital travail et sa maîtrise et connaissances du
projet.
En cas de perte, l’institution financière subit une perte financière et
l’entrepreneur (Mudharib) subit une perte de son coût d’opportunité (temps et
travail). Ce n’est qu’en cas de fraude ou de négligence avérée que le Mudharib
sera appelé à supporter les pertes.
Cette solution permet ainsi à l’épargnant, détenteur de capitaux, d’investir, et
à celui qui veut travailler de bénéficier de capitaux financiers.
Ces deux contrats sont très recommandés par les jurisconsultes musulmans car ils
répondent au principe d’équipe dans la prise du risque et sa rémunération. Le
principe de Partage des Pertes et Profits (Profit and Loss Sharing) est
primordial pour ces deux outils.
La collecte de la Zakat, à travers un fonds dédié, peut relancer le secteur des
microcrédits. Sous l’égide du ministère des Affaires religieuses, ce fonds peut
accorder des microcrédits dont la valeur peut varier dans une fourchette précise
(qui peut aller par exemple de 500 à 1.500 dinars). Ce fonds peut devenir ainsi
un outil de développement régional à travers la création de micro-entreprises.
On peut compter dans ce sens sur une bonne communication de la part de nos
«imams», libérés des pressions de l’ancien régime, afin de sensibiliser les gens
sur l’importance de contribuer à ce fonds qui servira pour créer des emplois et
contribuer à éradiquer la pauvreté dans beaucoup de régions. Des prêts sans
intérêts sont accordés et des projets, par exemple dans l’agriculture, la pêche,
l’informatique ou la broderie, peuvent voir le jour. Un partenariat peut être
signé par le ministère des Affaires religieuses, les banques islamiques
existantes en Tunisie (Zitouna et Al Baraka) pour la gestion du fonds et la
distribution de ces microcrédits.
Nous imaginons que ces outils peuvent aussi permettre la régulation de secteurs
entiers du commerce parallèle qui constitue l’un des maux de l’économie
tunisienne, une régularisation qui offrirait à l’Etat des recettes fiscales et
aux entrepreneurs la couverture sociale nécessaire.
Pour la réussite de ces outils, il faut bien évidemment la création d’une
structure d’entreprenariat allégée (à l’instar du statut d’Auto-entrepreneur ou
d’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée existant en France) et de
structures d’accompagnement des nouveaux entrepreneurs (sur le plan juridique,
fiscal, création de l’entreprise, étude de projet). Le tissu associatif a un
important rôle à jouer sur ce plan.
I- Le rôle de la finance islamique dans le financement des projets de l’Etat
tunisien: pour un Sukuk souverain
La Tunisie a un énorme besoin de financement pour réaliser tous les projets
post-révolution. Le désenclavement des régions de l’intérieur du pays tant sur
le plan économique que sur le plan des infrastructures est une vraie priorité.
Afin d’éviter à l’Etat tunisien un endettement pour financer des projets
d’infrastructure et afin de désenclaver ces régions (avec la construction de
routes, autoroutes, ponts, prolongement de lignes de chemins de fer, lignes de
tramway, lignes de métro, aménagements urbains..), nous sommes de ceux qui
pensent qu’il serait judicieux que l’Etat tunisien lance un Grand Sukuk pour
financer des tels projets.
LLe Sukuk est un produit financier islamique adossé à un actif tangible et à
échéance fixe qui confère un droit de créance à son détenteur. Le propriétaire
d’un Sukuk reçoit ainsi une part du profit attachée au rendement de l’actif
sous-jacent.
Les principales caractéristiques du Sukuk sont donc l’absence de taux d’intérêt
et l’existence d’un actif tangible sous-jacent qui doit être licite. Le
détenteur du Sukuk court un risque et ne reçoit qu’une part de profit et non une
rémunération avec un taux d’intérêt fixe (comme pour une obligation classique).
Plusieurs pays émergents ou même développés réfléchissent à l’émission de Sukuks
souverains afin de financer leurs projets d’infrastructure. L’intérêt étant que
l’émission de Sukuk souverain ne rentre pas dans le calcul de la dette publique
de l’Etat.
Le Sukuk souverain tunisien peut être ouvert à la souscription jusqu’à un
certain pourcentage à des investisseurs étrangers et en grande partie à des
investisseurs tunisiens (professionnels et particuliers) résident en Tunisie ou
à l’étranger.
Sur le plan pratique, les actifs, qui sont totalement licites (routes,
autoroutes etc..), seront achetés par des sociétés ad hoc (Special Purpose
Vehicules) de droit tunisien soumis aux tribunaux tunisiens. Les véhicules ad
hoc vont louer ces actifs à l’Etat tunisien ou aux collectivités locales qui
peuvent acquérir à terme les actifs financés.
Avec tous les postes d’emplois créés par ces grands projets d’infrastructure, le
Sukuk souverain tunisien peut être un moteur pour la relance de l’économie
tunisienne, notamment sur le plan régional.
En outre, émettre des Sukuks souverains serait un signal de la volonté de la
Tunisie d’être une place financière régionale tant pour la finance
conventionnelle que pour la finance islamique.
La réputation de la place financière de Tunis a beaucoup souffert des
agissements de l’ancien régime et de ses clans. Les dépassements, les entorses
aux règles, les infractions à la législation financière, notamment celle de
change en Tunisie, se comptent par milliers.
Afin de relancer la place financière de Tunis, et outre la refonte totale de la
réglementation bancaire et financière pour l’adapter aux exigences de l’économie
tunisienne et aux attentes des investisseurs étrangers, le recours à des outils
de la finance islamique attirerait des investisseurs étrangers et constituera un
signal fort afin de redorer le blason d’une place ternie. Tout est certainement
question de mentalités et de volonté politique. La recherche d’investissements
«Halal» est omniprésente pour beaucoup d’investisseurs soucieux de conjuguer
investissement et principes de la chariah.
Les conditions sont propices pour que la place financière de Tunis ouvre
finalement et pleinement la porte à la finance islamique qui pourra servir de
tremplin pour l’emploi, notamment des diplômés de l’enseignement supérieur.