Des représentants d’une trentaine d’entreprises membres du Groupement des industries tunisiennes aéronautiques et spatiales (GITAS) ont rencontré, le 10 février 2011, Afif Chelbi, ministre de l’Industrie et de la Technologie. L’installation d’une industrie aéronautique est l’une des plus importantes réalisations en Tunisie. Avec l’objectif d’en faire une plateforme aéronautique, l’attraction des investisseurs étrangers vers le site Tunisie a été un objectif majeur, multipliant les incitations et aménageant toute un zone industrielle dédiée à l’aéronautique, à savoir celle d’El M’ghira.
La stabilité économique et sociale constituait un atout essentiel au service de cette optique. Un schéma qui n’est plus d’actualité. Les craintes, quant à une délocalisation de cette industrie vers d’autres pays concurrents, sont devenues pressantes. On notera au passage la fermeture temporaire d’Aerolia en rapatriant certains de ces cadres en France, pour reprendre une semaine après.
La plupart des intervenants ont exprimé leur malaise par rapport au climat d’insécurité qui persiste dans le pays. Comme pour les autres secteurs, il y a eu des perturbations au niveau du transport et de la logistique, dues à des troubles sociaux au niveau du port de Radès, provoquant un retard dans la réception des composants et dans l’expédition. On a également évoqué les surcoûts provoqués par ces perturbations, engendrant ainsi d’importants retards de livraison.
L’aspect sécuritaire inquiète…
Pour une industrie très développée et liée à des firmes internationales, cette situation inquiète les industriels du secteur. «Une semaine d’arrêt signifie un arrêt de toutes les compagnies d’aéronefs», a lancé Gaby Lopez, directeur général de Zodiac Aerospace Tunisie, en ajoutant que «la situation économique nous inquiète beaucoup. Même nos fournisseurs sont devenus très prudents. Ils nous demandent désormais des paiements d’avance. Une chose que nous n’avions pas prévu dans nos budgets, ce qui génère des surcoûts énormes pour nos entreprises».
Un autre industriel a exprimé son désarroi face à une situation qui échappe à tout contrôle, bien qu’aucun dégât matériel n’ait été enregistré. La reprise s’est faite graduellement. «Nous avons eu un peu peur, durant les premiers jours. Mais nous avons pu protéger nos sites. Cependant, nous n’arrivons pas jusqu’à maintenant à retrouver un rythme de travail normal, à cause de l’insécurité qui règne dans le pays. Les blocages au niveau du port de Radès, pour cause de grève, sont également pressants. Il est très urgent de sécuriser ce port afin d’éviter les arrêts», souhaite Thierry Haure Mirande, gérant d’Aerotech. Il s’agit aussi de sécuriser les sites et les ouvriers, victimes de plusieurs agressions.
Sur cette question, M. Chelbi a souligné que le ministère est en contact direct avec les ministères de l’Intérieur et de Défense pour assurer la sécurité des sites industriels, appelant les industriels à contacter la cellule de crise créée au sein du ministère en cas de problèmes. Il a annoncé par la même occasion la suppression du couvre-feu dans les jours qui viennent, ce qui est à même de permettre aux usines de reprendre leur rythme normal du travail.
Une incertitude face à l’avenir…
D’un autre côté, les revendications sociales sont devenues fréquentes, à l’instar des autres secteurs. Ce qui renforce ce climat d’incertitude. «Il est urgent que les négociations sociales soient arrêtées le plutôt possible. Sinon ceci va rajouter de l’incertitude au secteur mais aussi aux clients. On se demande sur le rôle de l’UGTT: a-t-elle un rôle de revendicateur et d’agitateur ou un rôle de partenaire citoyen, de régulateur et de stabilisateur de l’activité?», s’interroge Philippe Cussonet, président du GITAS.
Pour rassurer les membres de la GITAS, M. Chelbi a affirmé que la Tunisie est en période de transition démocratique qui aura l’avantage de donner un nouveau souffle à l’économie tunisienne. «“Invest in democracy“, deviendra note slogan», insiste-t-il.
Résumant les décisions du Conseil des ministres, tenu le même jour, il indique que des aides aux entreprises sont prévues, notamment des lignes de crédit en devises et en dinars, une couverture des charges sociales, etc.
Concernant les revendications sociales, il souligne qu’une déclaration conjointe entre le gouvernement et l’UGTT sera annoncée au début de la semaine prochaine pour démarrer les négociations sociales, «tout en s’assurant que les revendications soient traitées de manière raisonnée».
En revanche, sur la question d’une éventuelle délocalisation des activités au cas où l’insécurité persiste, M. Cussonet a répondu que jusqu’à maintenant, aucune entreprise n’envisage de délocaliser. Même au niveau des clients majeurs, il n’y a pas eu d’annulation de commandes. «Dans ce secteur, on investit dans la durée, sur le long terme. Actuellement, il n’y a aucune intention de quitter la Tunisie», affirme le président de la GITAS, tout en soulignant cependant qu’une persistance de l’insécurité pourrait avoir un effet sur les décisions des entreprises. «Il n’y a pas de règles. Chaque entreprise perçoit la situation selon ses propres intérêts. Justement, une dégradation de la situation conduirait certaines à adopter un plan B, voire même un plan C. On pourrait les résumer par une affectation d’une partie des activités dans d’autres pays où carrément une délocalisation. Mais ceci n’est pas d’actualité en ce moment», précise M. Cussonet.
Rappelons que le secteur aéronautique compte 54 entreprises totalement exportatrices, employant 4.200 personnes. Quant au GITAS, il compte actuellement 33 sociétés adhérentes. La production du secteur a atteint, en 2010, 170 MDT, contre 18 MDT en 2003. Six entreprises participent à plus de 70% de la production et de 40% de l’emploi, à savoir Sea Latelec, Zodiac, Eurocast, TTEI, Cofitel et MAT. On note que les activités assemblages électroniques, faisceaux de câbles, fonderie, usinage et mécanique de précision emploient 81% de l’effectif global.