En Inde le chômage est une bombe à retardement, selon les économistes

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à Hyderabad le 28 janvier 2011. (Photo : Noah Seelam)

[18/02/2011 15:24:05] NEW DELHI (AFP) Plus de 100.000 personnes à la recherche d’un emploi ont récemment afflué au salon de recrutement d’une petite ville du nord de l’Inde qui offrait moins de 500 postes. Pour les experts, le chômage est une véritable bombe à retardement dans la troisième puissance économique d’Asie.

La foule des postulants a déferlé dans la ville de Bareilly, située dans l’Etat de l’Uttar Pradesh, pour répondre aux 416 offres d’emploi visant à rejoindre les forces de police à la frontière entre l’Inde et le Tibet (ITBP).

Des postes de nettoyeurs, de barbiers ou encore de transporteurs d’eau étaient proposés pour des salaires mensuels de départ de 5.200 roupies (84 euros).

Cette exceptionnelle affluence tourna au tragique sur le chemin du retour, lorsque les dizaines de milliers de candidats s’entassèrent dans les trains pour rentrer penauds chez eux: certains passagers qui avaient trouvé refuge sur le toit des wagons périrent écrasés lorsque le train passa sous un pont.

Pour les experts, cet incident –relativement commun en Inde– dévoile surtout une autre facette de l’économie du pays, qui s’enorgueillit d’un taux de croissance annuel proche de 9%.

“Aujourd’hui, le problème du chômage n’a pas encore complètement émergé mais c’est une bombe en sommeil”, considère J. Manohar Rao, professeur d’économie à l’université d’Hyderabad (sud) et auteur d’ouvrages sur le développement.

Il décrit un cocktail explosif composé d’une inflation des prix alimentaires de près de 20% qui affecte en premier lieu la population rurale, de l’arrivée sur le marché d’une main d’oeuvre jeune et du lent développement industriel qui pourrait pourtant recruter massivement.

“Les gens venus au salon du recrutement ne sont pas complètement sans instruction comme c’était le cas auparavant”, souligne M. Rao auprès de l’AFP. “Ils sont à moitié instruits, ils en ressentent de la fierté et n’ont pas envie de travailler dans les champs”.

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égumes dans une rue de New Delhi le 16 février 2011. (Photo : Manan Vatsyayana)

“Leurs aspirations augmentent mais le marché de l’emploi n’y répond pas”.

Les experts soulignent que l’essor économique de l’Inde provient surtout du secteur informatique et des services, des domaines d’excellence qui ont conféré du prestige au pays mais qui sont peu pourvoyeurs d’emploi.

Selon eux, l’Inde a aussi besoin de développer son secteur industriel qui pourrait recruter des millions de paysans sans emploi.

Selon les chiffres de l’agence nationale pour l’emploi, le taux de chômage pour 2009-2010 était de 9,4% dans tout le pays et de 10,1% dans les zones rurales, où vivent les deux-tiers de la population de plus d’1,2 milliard d’habitants.

“Il y a vraiment un boom économique mais c’est un boom à fort niveau capitalistique. Aucune des industries émergentes n’a un fort potentiel d’emploi”, analyse Javeed Alam, président de Centre de recherche en sciences sociales.

Derek Scissors, un expert sur l’économie en Asie au sein du groupe de réflexion conservateur The Heritage Foundation, basé à Washington, le sous-emploi et le chômage sont endémiques dans les zones rurales.

Selon lui, le salon de recrutement de Bareilly souligne à quel point les moyens de communications peu coûteux (téléphonie mobile et internet) ont changé la donne: “Les gens en zone rurale ont un meilleur accès à l’information”, souligne-t-il.

Mais selon Deepak Pandey, porte-parole des forces de police à la frontière indo-tibétaine, l’affluence des candidats à des postes ingrats montre surtout “la terrible situation de l’emploi dans les villages”.

“Cela me fend le coeur de voir des candidats sur-qualifiés postuler pour nettoyer des toilettes”, résume-t-il.