«Un pouvoir totalitaire, c’est le moins qu’on puisse dire du pouvoir exercé par
l’ancien président de la République», a déclaré, atterré, Abdelfattah Amor,
président de la Commission d’établissement des faits sur les malversations et la
corruption lors d’une conférence de presse organisée aujourd’hui, jeudi 18
février 2011.
Zine El Abidine Ben Ali intervenait à tous les niveaux, n’excluant aucun secteur
ou champ d’activité. La corruption a été institutionnalisée, elle a miné toutes
les administrations publiques, se répandant sur toutes les expressions de la vie
économique. Du plus haut de la pyramide de l’Etat jusqu’au plus bas de
l’échelle. De larges pans de la population officielle ont été touchés par la
systématisation des malversations et des friponneries de tous genres, en faisant
une échelle de valeurs et un cercle vicieux duquel n’échappait personne.
Dernières nouvelles en date, quatre présidents de partis politiques, le 11 et le
13 janvier 2011, ont reçu chacun et à titre personnel une enveloppe de 50.000
dinars. Ali Seriati, lui, a reçu le 13 janvier, la somme de 500.000 dinars. Il
n’est pas étonnant dans ce cas que, dans sa voracité et sa cupidité, il ait
vendu son âme à la satanique Leila.
On n’arrête pas le progrès….
Pour ce qui est de la provenance de ces montants, eh bien, c’est la présidence
qui s’en est acquittée. Fort heureusement un montant de 2,5 millions de dinars,
ce qui reste des 15,5 millions de DT de dons accordés par des groupes privés et
des hommes d’affaires à la dernière élection présidentielle, ont été remis au
Trésor public.
Un homme d’affaires avait, à l’occasion de cette dernière élection, offert
gracieusement la coquette somme de 1,5 million de dinars en tant que
participation personnelle. Il y aurait eu des groupes qui seraient allés au
devant des désirs du président déchu, lui proposant des idées pour la spoliation
de leur pays, «Vos rêves sont des ordres», semblaient-ils dire.
Les ministres et les hauts fonctionnaires n’auraient pas eu voix au chapitre
dans toutes les décisions détournées ou illégales prises à leur insu ou malgré
eux d’après quelques témoignages entendus par la Commission. A la question
pourquoi ils ne protestaient pas, la réponse était tout simplement: «Oser
contester, refuser ou même démissionner, était hors de question car cela voulait
tout simplement dire qu’il était fort possible que nous ne puissions pas arriver
chez nous sains et saufs». Zine El Abidine Ben Ali aurait même appelé un
ministre qui faisait la sourde oreille, à une revendication familiale, chez lui
pour lui dire «Je pense que vous n’avez pas compris».
Une voracité sans limites
Une bonne nouvelle, même si c’est une goutte d’eau dans un océan de corruption
et de spoliation de tous genres. Une administration publique a pu récupérer la
somme de 24 millions de dinars qu’elle aurait avancée, sur une campagne
publicitaire, à une agence de communication appartenant à….un parent de
l’ancienne pharaonne.
La Commission d’établissement des faits sur les malversations et la corruption a
reçu un grand nombre de dossiers des administrations publiques et a mis la main
sur ceux existant à la présidence de la République. A propos de la possibilité
que certaines personnes impliquées puissent faire disparaître des documents
importants, Abdelfattah Amor a précisé que le traçage de toutes les infractions
pourrait être fait même lorsque l’on procède au formatage des ordinateurs.
Les dossiers soumis à l’attention des membres de la Commission ont montré que
Zine El Abidine Ben Ali intervenait pour tout ce concerne les avantages à
accorder aux membres de sa famille ainsi que sur les appels d’offres publics,
pour légitimer la spoliation des domaines de l’Etat par Leila et compères ou
pour l’attribution de gros montants et de prêts aux membres de la «casa nostra»
trabelsienne et la sienne. Imed Trabelsi était le premier à profiter des faveurs
et de la générosité de sa «tante» qui ne lui refusait rien.
Leila aurait «acheté» un terrain de 3.524 m2 à la marina de Hammamet pour la
somme astronomique de… «100 DT», oui, c’est bien «100 DT»… Pour l’Ecole
internationale de Carthage, elle a fait mieux: 17.684 m2 au dinar symbolique.
L’ancien président lui-même aurait acheté un terrain à Sidi Bou Saïd à 5 DT le
m2.
Pour ce qui est du tissu entrepreneurial, il a été largement touché de gré ou de
force par la corruption érigée en règles de conduite sous l’autorité de Ben Ali.
De grands groupes économiques ont été pris dans le tourbillon des malversations
de toutes sortes. «Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est préserver
l’entreprise, sa capacité à participer à la dynamique économique et protéger
l’emploi. Il ne faut pas que la bonne marche des entreprises soit touchée par
les délits commis par certains responsables».
Si l’on doit nommer un mandataire judiciaire, on le fera sans hésiter, mais il
faut que le système économique continue à fonctionner normalement, a assuré M.
Amor. Ceci étant, les noms des personnes impliquées ne seront pas rendus publics
dans un souci de confidentialité et de préservation de leur intégrité physique
et de leur honneur.
Il n’est pas aisé pour la Commission de délier les nœuds et les ramifications
mafieuses établies par l’ancien régime et dirigée par Leila Trabelsi qui
détenait tous les pouvoirs. L’organisation de la «familia» était constituée d’un
premier cercle de membres de la famille et celui des belles-familles au nombre
de 142 personnes au total y compris les enfants; ensuite, un deuxième cercle
comprenant les amis et les proches et un troisième et ainsi de suite…
Zine El Abidine intervenait même pour dédouaner une voiture de luxe ou accorder
l’autorisation de vendre des boissons alcoolisées aux hôtels et restaurants. Les
services de douanes étaient infestés par les Trabelsi et amis et étaient soumis
aux règles souscrites par ces derniers. Les 50 sociétés d’import/export de la
familia bénéficiaient de toutes les faveurs «douanières» et les dossiers sont
aujourd’hui à l’étude.
Qui aurait soupçonné que nos institutions, nos administrations, notre tissu
entrepreneurial avaient été autant gangrenés par la corruption? Dans nos
cauchemars les plus fous, nous n’aurions pas pu imaginer la toile d’araignée
tissée par une veuve noire appelée Leila qui a hypothéqué le pays et instauré un
tel degré de décadence de l’échelle des valeurs qui a touché jusqu’à la
structure mentale de nombre de nos concitoyens qui ont fini par croire que le
chemin pour arriver à bon port doit être forcément détourné.