Les familles proches du président déchu, Zine El Abidine Ben Ali, ne sont ni des
génies à la Bill Gates ou la dame productrice de Harry Potter ni des sorciers
alchimistes transformant le fer en or, mais elles émanent tout simplement d’un
système de gouvernance qui favorise et légitime la corruption organisée. Un
système qui interdit toute critique à l’existant en accusant tout ce qui respire
par l’alliance avec l’intégrisme… ou la dépendance à des instances étrangères
qui «envient la Tunisie de Ben Ali…».
Un tel système ne permet que l’ambiguïté des approches et le maquillage et le
brouillage des chiffres… et la création d’agents qui ne font qu’entériner,
valoriser, interpréter et vulgariser… les «propos du président».
Alors que la richesse de ces familles proches du président évolue
vertigineusement selon des rythmes qui s’échappent à tous les modèles de la
finance et selon une suite géométrique sans précédent, quel taux de rendement de
capital permet à quelques milliers de dinars en 1995 de générer des milliers de
millions de dinars en 2010?…
En fait, on est, peut-être, en présence d’un modèle de finances un peu
particulier…, modèle politico-mafieux. En effet, ce système existe au
détriment des finances publiques saines et transparentes, du libre jeu de
concurrence et de la crédibilité de l’environnement d’investissement, marqué par
la crainte de l’hégémonie de ces gens-là, notamment la crainte des investisseurs
étrangers comme l’a confirmé, il n’y a pas si longtemps, la présidente du MEDEF
dans une interview à une chaîne française. Quelle estimation peut-on donner aux
pertes d’opportunités d’investissements occasionnées par ce système? Et combien
de potes de travail perdus en conséquence? Dieu merci, la révolution, amorcée
par les demandeurs du droit au travail digne, a décousu les bouches et a
renversé l’oligarchie.
Revenons au début des années 90, où il y avait des personnalités politiques en
Tunisie ayant leur poids dans la sphère économique et financière et qui
veulaient se constituer en lobby politico-économique et plaider pour une
économie de marché solide et une vie politique pluraliste …Lorsqu’on se souvient
que suite à la parution d’un simple article dans le journal «Le Monde», sans se
ranger dans la défense de son contenu, intitulé «la Tunisie… bon élève du
FMI», un homme d’affaires tunisien, ayant son poids politique, a été accusé
d’absence de patriotisme et assigné à résidence, et lorsqu’on se souvient que
les services de l’Etat ont commencé à le détruire économiquement, on comprend
pourquoi Ben Ali a rassemblé ses proches autour de lui en leur accordant carte
blanche pour renforcer la constitution d’une ceinture de pseudo-hommes
d’affaires, à n’importe quel prix et par n’importe quels moyens, même par la
force et des menaces…
Et c’est à partir de cet événement et en l’absence de pouvoirs autonomes
assurant l’équilibre avec l’exécutif que ce réseau mafieux s’est constitué. Ni
législatif, ni judiciaire, ni mass media, autonomes, il n’ya que le culte de
personnes qui règne, l’idée unique, le sauveur unique et qui «sans lui, la
Tunisie plonge dans le chaos…».
Bref, c’est dans cet environnement que les Ben Ali et les Trabelsi et d’autres
proches ont vu le jour comme «investisseurs» et «hommes d’affaires» ou plutôt
«affairistes». Cet environnement a permis l’émergence d’un atout majeur qui est
la manipulation des textes juridiques, législatifs ou réglementaires, qui sont
émis, rédigés et modifiés à la carte. S’agissant de textes juridiques sur
mesure, souvent, ils ne profitent qu’à ces gens là!
Afin de montrer à tout le monde des défaillances du système qui a pu générer
tout ça et pour pouvoir contribuer à la préparation du terrain à de grands axes
de reformes politiques, sociales, économiques et culturelles, la question qu’on
pose, c’est par quels moyens ces gens-là ont pu accumuler une telle richesse?
Pour cela, nous avançons les principaux dispositifs possibles suivants:
1- L’acquisition du patrimoine mobilier et immobilier du secteur public, par ces
gens, avec des prix dérisoires voire avec du “dinar symbolique“ en exerçant de
multiples pressions sur les agents de l’Etat chargés de ces dossiers et des
instances concernées, soit consultatives ou décisionnelles. On peut citer
l’exemple de la privatisation et de la restructuration des entreprises
publiques, le déclassement et la vente des terres domaniales ou municipales,
etc.
2- L’octroi à ces gens d’aides financières, dans les normes ou hors normes, y
compris les aides accordées par la signature de Ben Ali lui-même sous forme de
décrets conformément au proverbe arabe «la noce du chanteur lorsqu’il chante
pour lui-même!».
3- Concessions d’espaces, de services publics ou de monopoles avec le moindre
prix au profit de ces gens. Le secteur public ne reçoit qu’une redevance
dérisoire en contrepartie de ces concessions, y compris l’application de la loi,
par exemple la collecte des contraventions de parcage interdit de véhicules dans
certaines zones…
4- Les pots de vins reçus par ces gens sur certains marchés publics en exerçant
une pression sur les services du secteur public pour choisir tel ou tel
soumissionnaire et les dispositifs de s’échapper aux règles de contrôle des
marchés publics n’en manquent pas. Le vin est de haute qualité et «noble»
lorsque le soumissionnaire est étranger comme les comptes en devises à
l’étranger, etc.
5- «Commissions» reçues par ces gens en contrepartie de l’intermédiation entre
l’administration et les administrés, dans les cas d’importations, de
recrutements, d’autorisations diverses, etc.
6- Facturation par ces gens au secteur public, du prix du produit et les coûts
qui génèrent ce produit comme l’a démontré les salariés de la chaîne nationale
de télévision pour une société de production cinématographique bien connue.
C’est conforme au proverbe français «le beurre et l’argent du beurre».
7- Financer des pseudo-projets de ces gens par des crédits avec des conditions
très particulières: sans garanties, ni réelles ni personnelles, avec des taux
d’intérêts bas et par des participations pour le compte des fonds de l’Etat et
en provocant la faillite de ces pseudo-projets par la suite.
8- L’acquisition par ces gens des entreprises en difficultés économiques, soit
les cas de difficultés objectives ou les cas de difficultés provoquées en vue
d’acquérir ces entreprises par la suite.
9- Monopoliser par ces gens, le marché de certains produits juteux, marchandises
ou prestations de services, en exerçant des pressions sur les concurrents
effectifs ou potentiels jusqu’à leur «anéantissement», et ce en utilisant les
services de l’Etat pour exercer des pressions sur ces concurrents et chaque
service selon sa compétence!
10-La participation exigée de ces gens au capital de certaines entreprises
juteuses voire exiger la détention de la majorité du capital. Acheter avec force
et à moindre prix, voire gratuit, lorsqu’ils se placent comme acheteurs ou
vendre cher lorsqu’ils se placent comme vendeurs, avec les conditions qu’ils
exigent même lorsque le produit est imaginaire et ne sert exclusivement que pour
être vendu par eux. En effet, des programmes publics ont été prévus
principalement pour créer des marchés pour ces gens-là.
11- Réalisation par ces gens de revenus de l’économie illicite, notamment les
faux produits et les pratiques interdites avec la complicité éventuelle des
services concernés de l’Etat.
Toutes ces pratiques se font directement ou indirectement par personnes
interposées. Il s’agit de personnes dites «écran», généralement des personnes
morales selon des canaux compliqués et brouillés là où il y a l’intervention
éventuelle de tous les services du secteur public au sens large. En outre,
d’autres gens, qui se sont constitués en réseaux indépendants de corruption,
soit qu’ils se cachent derrière «la famille», en prétendant qu’ils lui
appartiennent ou qu’ils travaillent pour son compte, soit dans le cadre d’une
mentalité corrompue qui justifie et légitime le mal par le mal, elle légitime la
corruption par l’existence de la grande spoliation faite «là-haut par la
famille».
Autant dire que, quelle que soit l’origine de la corruption, il y a du pain sur
la planche pour la Commission nationale d’investigation sur les questions de
corruption et de malversation.
Bref, afin de déraciner ce mal, cela nécessite l’effort de tout le monde pour
témoigner, bien conserver et garder les traces telles que les archives
physiques, les supports informatiques, etc. Les premiers qui sont concernés sont
les agents de l’Etat que je crois profondément que la majorité est honnête mais
qui avait la bouche cousue.