Aujourd’hui, l’insécurité qui a suivi la chute de l’ancien régime est de plus en plus apaisée. La reprise a été enregistrée dans la plupart des entreprises et on espérait que les retards enregistrés à la mi-janvier seraient rattrapés dans les semaines à venir. Mais la réalité est autre. Quelques jours après l’annonce de la reprise économique, voilà que les mouvements sociaux donnent un autre tournant. Dans la plupart des secteurs d’activités, les revendications sociales se sont propagées comme une traînée de poudre, laissant en suspens l’activité des centaines d’entreprises. Pour une économie basée, en grande partie, sur les exportations, l’interruption de l’activité industrielle se répercute automatiquement sur la balance commerciale du pays et sur sa rentabilité économique.
D’ailleurs, la baisse enregistrée au mois de janvier 2011 des exportations industrielles est un signe de fragilité de l’économie tunisienne. Il faut noter que le tissu industriel tunisien se compose, dans certains secteurs, en majorité d’entreprises étrangères, ayant délocalisé en Tunisie et motivées par un environnement d’affaires incitatif et un climat de sécurité qu’on ne cessait de vanter, durant l’ancien régime. L’UGTT, principal partenaire social, a été accusé de prêter main baisse à ces revendications, n’ayant pas réagi à temps et efficacement pour calmer les esprits.
Pour un secteur comme le textile/habillement intimement lié aux firmes étrangères et à des délais de livraison très stricts, et qui tient à sauvegarder son positionnement à l’échelle internationale, la perturbation de l’activité pourrait avoir des conséquences très négatives. Et voilà qu’à l’initiative de la Fédération nationale du textile et habillement et de son pendant auprès de l’UGTT, une rencontre a été organisée au Centre technique du textile. Une première, nous dit Habib Hzami, président de la Fédération générale du textile et habillement au sein de l’UGTT, depuis une vingtaine d’années. Dire que le dialogue était réellement absent entre le patronat et les travailleurs. Mais passons…
Une grande inquiétude…
Si cette rencontre a constitué une occasion propice pour amorcer le dialogue social entre les partenaires sociaux dans le secteur, elle a aussi été une occasion pour parler des inquiétudes des industriels face à la situation actuelle. Une entreprise française, installée en Tunisie depuis 19 ans et qui emploie 250 personnes, connaît depuis plus d’une semaine des grèves illégales. Selon son gérant, des négociations internes ont été entamées avec le personnel, qui revendique la titularisation et l’augmentation des salaires.
«Nous avons proposé la titularisation de 125 personnes, sur une échéance de trois mois. Cette offre a été refusée par l’UGTT. Et nos ouvriers sont encore en grève et demandent la titularisation de l’ensemble du personnel à la même date. Le client a retiré toutes ses commandes et nous ne savons plus quoi faire», a-t-il lancé. Pis encore, ayant expliqué la situation au représentant de l’UGTT de la région où il est installé, celui lui a répondu: «Vous n’avez qu’à quitter!». La réponse la moins attendue d’un responsable d’une centrale syndicale dont la préoccupation essentielle est la sauvegarde de l’emploi et des droits des travailleurs.
Cet exemple, bien qu’il soit qualifié d’exceptionnel, montre la gravité de la situation. Face aux investisseurs étrangers installés et potentiels, on aurait du mal à défendre la destination Tunisie, dans un climat social aussi perturbé. Mais M. Hzami se montre vigilent. «Ces éléments perturbateurs n’ont aucune relation avec la centrale syndicale. Ce sont des parties extérieures qui veulent déstabiliser le climat social dans les entreprises et ternir l’image de l’UGTT. Je vous assure que ces perturbations n’ont rien à voir avec la centrale syndicale et que nous sommes ici pour défendre les entreprises», indique-t-il. Il affirme qu’il est primordial, en ce moment, d’entamer le dialogue social avec les syndicats de base et de dépasser l’aspect revendicatif. «A l’issue du dialogue entre le ministère des Affaires sociales et l’UGTT, il a été convenu de démarrer les négociations sociales dans deux mois», informe-t-il.
Une date jugée trop longue par les industriels présents. «Deux mois, c’est trop long. Comment peut-on livrer dans des conditions pareilles? Les clients n’attendent pas. Il faut émettre des signaux très positifs pour les conforter. Si les commandes actuelles ne sont pas livrées à temps, les premières échéances des contrats courent un grand risque. Et demain, on aura beaucoup plus de chômeurs», s’inquiète une représentante d’un groupe italien. Ces craintes pour la rentabilité et l’emploi montrent la fragilité de la situation à laquelle une action de communication efficiente doit y répondre.
Pour Ali Nakai, secrétaire générale de la FENATEX, il est impossible d’engager, dans l’état actuel des choses, des négociations sociales, avant de préciser que «nous espérons qu’elles reprendront dès que le climat social le permettra. On ne peut pas négocier dans les conditions actuelles…».
Des messages positifs…
Face à l’inquiétude des investisseurs étrangers, Nafaâ Naifar, chef d’entreprise et membre de la FENATEX, a indiqué qu’un groupe de travail a déjà été créé en concertation avec l’UGTT pour préparer les négociations sociales. «Il est très important de passer des messages positifs pour calmer les esprits», ajoute-t-il. Et comme messages positifs, Férid Tounsi, directeur au sein du ministère de l’Industrie, en tient plusieurs. «Il faut rassurer les investisseurs par le dialogue et par la visibilité. Cette visibilité se tiendra par la reprise du travail et par un dialogue serein. Les négociations sociales devront être bien discutées. Pour l’UGTT, je dis: nous gagnerons en compétitivité grâce à ces négociations. Pour les investisseurs étrangers: tenez avec nous ce challenge. La Tunisie va vous offrir la démocratie qui n’est pas facile à atteindre mais qui va vous faire gagner à l’avenir. Pour les ouvriers: conservez votre outil de travail. Nous veillerons à ce que vos acquis soient préservés», lance-t-il.
Des messages qui ont été appuyés par le président de la Fédération générale du textile et habillement au sein de l’UGTT qui affirme qu’il faut entamer le dialogue constructif. «Nous sommes tous dans le même panier. S’il y a des différences, nous pouvons les résoudre par le dialogue. L’application de la loi doit être respectée par tous», ajoute-t-il, en indiquant sa volonté pour intervenir personnellement pour calmer les mouvements sociaux dans les usines.
Concernant la relation entre l’UGTT et le patronat, M. Naifar a insisté sur l’importance du soutien de la centrale syndicale à l’entreprise: «L’UGTT doit être à l’écoute des contraintes de notre métier. Ensemble, nous pouvons consolider l’existant pour construire l’avenir».
A l’issue de cette réunion, les deux parties ont appelé à instaurer un dialogue constructif au sein des entreprises. «Concernant les demandes d’ordre social, l’ensemble des partenaires sont disposés à mener un dialogue constructif afin de traiter toutes les revendications», indique le communiqué signé par la FENATEX et la Fédération générale du textile et habillement au sein de l’UGTT.
Maintenant, est-ce que cette concertation servira d’exemple pour les autres secteurs qui connaissent une situation similaire? La réponse dans quelques jours.