Tunisie : Où va la diplomatie française?

Par : Autres


boris-boillon-22022011-art.jpgGustave Le Bon a écrit: «dès qu’un sentiment s’exagère, la faculté de raisonner disparaît». Cette citation crayonne une description parfaite de l’attitude, désormais, frôlant le grotesque d’une frange de citoyens. Depuis le fameux 14 janvier où les Tunisiens ont connu le privilège de l’omnipotence se parant d’un simple «Dégage» mais tant véhément au vu de son incidence prodigieuse, les choses prennent, regrettablement, une autre tournure. Et nous voici à la porte d’un méandre.

Des gouverneurs aux directeurs généraux, et nous en passons, tous ont eu droit à leur «dégage». Des employés, longtemps mécontents et insatisfaits de leurs supérieurs hiérarchiques, ont trouvé l’occasion rêvée pour se donner à cœur joie à les chasser. Que leurs revendications soient fondées ou non, il existe bien des manières de les exprimer autres que celles qui ont trait à l’humiliation et le manque de respect. A l’heure où le pays se cherche une identité démocratique et songe aux fondements de celle-ci, il se forge une position paradoxale: on se hâte à ériger une opinion à la limite de l’élucubration, on s’en fait une conviction intime sans la moindre chance d’accorder le bénéfice du doute. Du coup, on verse dans la stigmatisation et les règlements de comptes.

Ce négativisme dans l’attitude enfantant la stérilité dans la réaction raisonnable a atteint même la diplomatie française. Voici comment.

Il y a quelques jours, le nouvel
ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon a donné un déjeuner de presse à la suite de sa prise de fonctions. Une pléthore de journalistes était présente ce jour-là, tout média confondu. Tout se passait à merveille; l’ambassadeur tenait un discours cohérent, optimiste et pour le moins prometteur quant à l’avenir des relations des deux voisins historiques. Ses quelques propos prononcés dans un arabe parfait instauraient, un peu soit-il, un rapport de convivialité et de confiance tant prêché par M. Boillon, affirmant: «moi, je suis pour le contrat de confiance entre nous… Moi, honnêtement, je suis là pour vous ouvrir mon cœur. Je suis prêt à vous ouvrir mes livres… A partir du moment où on a entre nous une relation responsable».

Jusque-là les choses vont bon train: les propos sont rassurants et l’on ne demande pas mieux. Seulement voilà, le chef de la diplomatie française a, vraisemblablement, égaré par imprudence les règles de la bonne conduite lorsqu’il prend une attitude quelque peu agressive envers deux journalistes. Motif: il n’a pas apprécié les questions qu’on lui a posées, notamment celle concernant Michèle-Alliot Marie. Erreur fatale! Car les Tunisiens sont encore sur la braise et la tolérance zéro est encore en vigueur quant aux incartades à leur égard.

Considérées comme une véritable indignation, les invectives de M. Boillon se sont retournées contre lui tel un boomerang. Sans plus tarder, les Facebookeurs partageaient sans modération, commentaires dédaigneux à l’appui, la vidéo du déjeuner de presse sur la Toile. Bien sûr, la vidéo fait sensation et la cause fait de plus en plus d’alliés, le verdict tombe: la nomination de Boris Boillon est, carrément, qualifiée d’aberration et de méprise aux Tunisiens libres, Boris Boillon dégage!

Le chef de la diplomatie a fini par présenter ses excuses aux deux journalistes lésés. Bien joué!

Néanmoins, cela n’a pas évité le désormais passe-temps favori des Tunisiens: manifester pour faire “dégager“ Boris Boillon. Omettant que la décision de nomination d’un ambassadeur ne relève guère de leurs champs d’application en tant que porte-parole du peuple, ils ont tout de même voulu faire montre de leur aptitude à prendre part aux actes décisifs pour leur avenir et celui du pays.

Faut-il rappeler que l’ambassadeur vient à peine de prendre ses fonctions et tracer la feuille de route de son activité. Il a exprimé sa volonté, aussi fervente soit-elle, d’agir distinctement sans être disparate en adoptant la configuration de «société civile face à la société civile». Alors, a-t-on le droit de condamner aussi vite Boris Boillon en se basant sur un écart de conduite que quiconque pourrait en être l’auteur? Sinon que celui qui n’a point péché lui jette la première pierre. Ne doit-on pas lui accorder le bénéfice du pardon ce dévergondage, car personne n’est parfait, aussi diplomate soit-elle? Et puis, cette stigmatisation établie sur le rapport rapproché entre M. Boillon et M. Sarkozy -on dit de lui son loup- et son passé de diplomate en Irak, présentés comme chef d’inculpation à son encontre, ne serait pas incongru et vice d’acharnement? Et de surcroît, on lui reproche même son jeune âge! Absurde, en effet.

Qu’à cela ne tienne. Nous devrons, absolument, apprendre à mieux gérer nos frustrations et nos contestations et maîtriser aussi nos émotions. Nous devons nous montrer patients et raisonnables. Ne pas affronter le mal par le mal, adopter une attitude positive et optimiste sur fond de méfiance et de prudence, bien entendu. Il suffit de scander des slogans signifiants haut et fort: «nous ne sommes pas dupes».

Aujourd’hui, le monde entier est témoin de la grandeur et la fierté du peuple tunisien, devenu un parangon de bravoure et de dignité, nul besoin de le montrer à tout va en partant au quart de tour à chaque fois qu’une figure politique trébuche quelque part.

Ne dit-on pas que nous sommes un peuple tolérant? Et Gilles Perrault a dit: «la tolérance, c’est la civilisation par excellence». Tout est dit.