Une femme utilise son smartphone. (Photo : Adek Berry) |
[24/02/2011 07:56:08] BORDEAUX (AFP) Transporter dans son smartphone son propre code génétique, comme de simples morceaux de musique: le projet, porté par une équipe de chercheurs bordelais, est en passe de se concrétiser mais suscite des réticences en France où le séquençage du génome demeure strictement encadré.
Dans son bureau de la plate-forme technologique d’innovation biomédicale (PTIB) du CHU de Bordeaux, Patrick Merel sirote son café. “Depuis que je sais que j’ai une prédisposition au diabète, je ne sucre plus”, sourit ce docteur en biologie moléculaire.
Après avoir vainement ferraillé en France, où son idée n’a rencontré qu’indifférence ou hostilité, il vient de créer en Californie avec deux biologistes et une bio-informaticienne bordelais la société Portable Genomics.
Le projet, élaboré “bénévolement” et sur des fonds privés, vise à “produire un logiciel qui +digère+ les données issues du séquençage du génome (ndlr: le matériel génétique codé dans l’ADN) pour les transporter” sur des “plate-formes mobiles”, type iPhone ou iPad, explique M. Merel.
Moyennant quelques centaines de dollars, des firmes, essentiellement américaines, proposent déjà aux particuliers de séquencer les données contenues dans leur ADN. Le principe est simple: il suffit de cracher dans un tube puis de l’expédier à la société. Un labo décrypte l’ADN et en quelques clics, le curieux a accès à certaines informations de son ADN via un site sécurisé: il peut savoir, par exemple, s’il est porteur de gènes favorisant tel ou tel cancer.
Ces tests, interdits en France hors du cadre médical, “explosent dans le monde” et leur coût ne cesse de baisser, explique M. Merel.
Concrètement, le logiciel conçu par les chercheurs bordelais présentera les 3 gigaoctets du séquençage de façon claire et ergonomique sur l’appareil.
Une mention “cancer du sein” accompagnée d’une icône rouge soulignera par exemple une prédisposition à cette maladie tandis qu’une icône verte indiquera l’absence de risque. Des données que le patient, smartphone en poche, pourra présenter à son médecin, poursuit le chercheur qui voit dans son application un outil de “prévention et de vigilance”.
Le logiciel pourra aussi afficher les symptômes et les gènes en cause et proposera diverses applications périphériques (géolocalisation de spécialistes, stockage du dossier médical…)
Portable Genomics serait ainsi pionnier dans le basculement vers la “génomique portable”. Actuellement, “aucun acteur de la génomique personnelle n’a de solution pour les plate-formes mobiles”, soutient M. Merel, qui pense à un partenariat avec des sites de musique en ligne, comme Deezer ou Spotify, où l’ADN décrypté côtoierait Miles Davis, Radiohead ou Chopin.
“De gros investisseurs américains” sont intéressés, affirme-t-il, tout en refusant de lever le voile sur leur identité.
“Ne va-t-on pas inquiéter inutilement des personnes qui ne vont pas forcément déclarer ces maladies?”, questionne Patrick Gaudray, membre du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) et directeur de recherche au CNRS.
Ces firmes “créent un besoin” en faisant “croire que les résultats”, dont la “fiabilité est difficile à déterminer,” vont “rendre service”, ajoute ce généticien en cancérologie qui juge “l’intérêt médical” des tests génomiques “extrêmement limité” et plaide pour que le CCNE se saisisse de ces questions.
“Réduire l’homme à ses gènes est une restriction considérable”, estime-t-il, jugeant que “l’homme mérite mieux que son ADN”.
“Notre génome est personnel. Pourquoi n’y aurions-nous pas accès?”, rétorque Patrick Merel. “Les moeurs et la technologie changent. L’éthique aussi doit évoluer”.