De ce qui est de la police en Tunisie

Par : Tallel

Il ya quelques jours, un ami me disait: «Ben Ali me manque déjà… Qui vais-je insulter maintenant? A qui vais-je en vouloir ? Il est un peu malade en plus, il ne faut pas qu’il meurt… Et puis qu’est ce qu’on s’en fout!». Ce n’est finalement pas le personnage de Ben Ali en lui-même qui nous dérangeait directement, mais plutôt l’implantation et l’enracinement du système pourri instauré par ce dernier. Le président déchu et ses anciens ministres donnaient l’impression de vivre sur une autre planète. On les voyait des les rues qu’au cours de mises en scène bien orchestrées par notre légendaire «parti-Etat» et filmées bien comme il faut par notre bbc national TUNIS7. Ces gens qu’on payait pour applaudir et scander le nom de Ben Ali jusqu’à irriter leur cordes vocales, de quoi vont-ils vivre maintenant? Est-ce qu’un jour on aura un rapport détaillé, transparent et exhaustif sur les agissements du RCD? Veut on ou je dirais plutôt, peut-on réellement rompre tout lien avec ce maudit parti? La 1ere force de cet exemple en matière de système d’oppression contemporain, c’est sans aucun doute la police et tout ce qui gravite autour de cette institution en Tunisie.

«L’ensemble de la nébuleuse sécuritaire de Ben Ali (garde et sécurité présidentielle, services de renseignements, police, dont les sinistres Ninjas) comptait autour de 150.000 hommes. Au sommet de cette pyramide, transformée en une sorte de milice privée, la garde présidentielle réunit environ 5.?000 hommes. Triés sur le volet, sélectionnés sur concours au sein des services de sécurité et surentraînés, ces hommes disposent de gros moyens matériels et d’armes sophistiquées. A la tête de cette force d’élite, le général Ali Seriati, sécurocrate du régime», D’après jeune Afrique.

Nous avons vécu un très grand moment dans l’histoire du monde contemporain. Ce que nous avons réussi à accomplir, nous les Tunisiens, est un exploit à tous les égards. Certains n’y avaient pas cru au début, malgré tout l’engouement que ce mouvement avait suscité. Ces gens-là, je les comprends et je leur donne raison (tout comme Ben Ali nous avait tous si bien compris!). En effet, l’emprise qu’avait la police sur la population, son contrôle excessif et ses méthodes inhumaines rendaient tout bonnement impossible une telle réaction populaire. C’est là justement que réside toute la beauté de cette révolution: la soif de liberté et de démocratie a eu raison des fondations de la dictature en Tunisie: la police sous toutes ses formes, motivée par les biftons et la reconnaissance du tristement célèbre RCD.

La police en Tunisie représente plus une source de crainte que de sécurité. Ils sont toujours là, tout le temps, partout, en nombre, sous toutes les formes. En uniforme ou sans, mobiles, fixes, à pieds, en gros 4*4, déguisés, hommes, femmes, jeunes, vieux, bleus, verts… Ils sont de toutes les sortes et à tous les gouts! Malgré leur forte présence, ils représentent plus une source d’anxiété et de peur qu’un vrai rempart aux crimes.

Ils sont conscients du pouvoir qui leur est attribué, ce qui complique énormément la chose, ils deviennent encore plus avides de gain facile et élaborent souvent dans des plans dangereux et des magouilles sur fond de corruption et d’abus de pouvoir: la tombola des agents de la circulation, qui consistait à acheter obligatoirement un «faux» ticket sans intérêts, pour éviter que le policier vous colle un PV, l’entêtement des brigades en voiture à effrayer les piétons en les arrêtant sans raison et en leur posant plein de questions personnelles et encore plus grave, ces policiers qui collent des inculpations à des gens honnêtes en glissant des bouts de résine de cannabis dans leurs poches au moment où ils viennent d’être arrêtés (la possession/consommation de cannabis en Tunisie équivaut à un an de prison accompagné d’une grosse amende) … On voit très clairement que certaines lois servent de façon directe cet organe pourri de notre système.

«Mais je vais enfin finir par une expérience encore plus grave que tout ça -vécue par un jeune bénévole, fils de l’un des médecins avec nous, participant à l’aide médicale sur place: après notre dispersion par les gaz, ce jeune homme Md BS de 19 ans, s’est caché -paralysé par la peur- sur place sous une couverture là où on avait rassemblé les médicaments à côté du ministère des Finances sur la place. Une fois la place vide, il a vu une “stafette” noire avec écrits dessus CHORTA = police en Arabe, 4 hommes en civil en sont descendus, ils sont montés là où on était, et ont commencé à fouiller la nourriture et les couvertures accumulées pèle mêle, puis ils ont sorti un sac et en ont sorti des petits paquets de papiers à rouler puis des sachets de drogues type cannabis, qu’ils ont dispersés dans ces amas d’affaires… puis ils ont crié en se tournant vers la place par le balcon: «Où SONT LES JOURNALISTES QUI PROTÈGENT CES GENS? Où SONT LES JOURNALISTES? VENEZ VOIR CE QU’ILS FONT! Puis ils sont partis…», D’après Nawaat.org

Tout Cela explique peut-être l’acharnement de ces milices de Ben Ali, qui, après la fuite de notre humble président, se sont mis à piller, tuer, saccager le pays dans le but de semer le chaos: ces êtres ignobles ont tellement à se reprocher… ils n’avaient plus de dignité, plus d’honneur à défendre (comme si ils en avaient avant!). Ils n’avaient plus rien à perdre.

Depuis le départ de Ben Ali, nous avons tendance à confondre entre miliciens et policiers pourris. Pour moi, ils ont au moins un point commun: ils n’ont ni honneur ni dignité.

Du plus haut membre dans l’ordre hiérarchique de cette institution en Tunisie jusqu’au simple agent de la circulation, tout le monde agit selon la loi du plus fort, ces gens en sont arrivés jusqu’ à tirer à balles réelles sur de pauvres citoyens munis seulement de foi, d’espoir et de volonté de changement, ça épargne de tout commentaire…

Cette institution en Tunisie ne représente aucune des valeurs prônées par la police partout dans le monde. La majorité de nos policiers sont bedonnants et mal entretenus. D’ailleurs, j’avais un jeu auquel on s’adonnait avec quelques amis à Tunis: à la quête du policier musclé ! Personne n’a jamais gagné à ce jeu…

Ils parlent souvent avec un langage cru et, les gros mots et autres insultes, fusent quand on a à faire à eux. L’uniforme leur confèreraient un pouvoir surhumain, ils agissaient selon leurs humeurs (qui n’a jamais entendu cette phrase dans une voiture en Tunisie, lorsqu’un policier s’approchait du véhicule immobilisé? «M***, j’espère que sa femme ne lui a pas demandé de l’argent ce matin!»

La violence avec laquelle ces gens là interviennent est indescriptible. Je ne trouve pas des mots assez forts pour exprimer toute la brutalité de ces personnes. Je me rappelle au stade d’El Menzah, il y a quelques années de cela, un policier a carrément nettoyé les sabots de son cheval sur le dos d’un ami parce que ce dernier n’arrivait pas à se mettre dans la file et ceci dans un contexte ordinaire d’un petit match du championnat tunisien de football.

J’approuve quand on me dit que la majorité des agents de sécurité de l’état vivent dans un état de précarité extrême et qu’ils se sont retrouvés obligés de se conformer au modèle de la dictature mais cela n’explique en rien leurs pratiques barbares, leur inhumanité, leur cruauté et le manque de pitié surtout envers les leurs, ceux qui mourraient de faim, ceux qui avaient mal aux jambes et n’arrivaient plus à marcher droit (alors que les « capo » de notre mafia roulaient en voitures en or).

Notre système policier s’est développé et renforcé pendant ces 23 ans de «sérénité», de «calme» et de «joie de vivre» sous l’ère Ben Ali. La police s’est réellement imposée comme l’arme la plus pragmatique et la plus efficace de la dictature. Leurs ramifications sont incalculables, leurs agissements restent toujours secrets et leurs méthodes, connues de tous, dépassent les limites de l’entendement (interpellations aléatoires, violence gratuite, torture extrême, fausses inculpations…), la loi les protégeaient. Ils sont recrutés à tout vent et bénéficient de plusieurs avantages sociaux. Une infinité d’agents déguisés travaille tous les jours, dans les cafés, les marchés populaires, les universités, les stades de football et j’en passe… Il s’agit de leur gagne pain. Dénoncer des concitoyens, rédiger des rapports subjectifs, ou tout simplement tabasser puis arrêter les plus «remuants» étaient leurs activités quotidiennes. En visitant mon pays la semaine dernière, des proches m’ont confirmé tout ce qui se disait sur les pratiques peu orthodoxes de notre police. Preuve à l’appui, on m’a montré par exemple qu’il y avait des dossiers pleins de rapport (retrouvés dans les commissariats saccagés) pour chaque café, incluant une description complète des gens qui les fréquentent, leurs sujets de conversations, leurs consommations et même les pages du journal sur lesquels ils s’attardent le plus! Je n’y aurai jamais cru si je n’avais pas vu ça de mes propres yeux. Tout le monde est fiché, on connaît tout à propos de tous. Ces informations personnelles concernant des civils sont notées dans des rapports dénués de bon sens, de scientificité ou d’objectivité. Des rapporteurs ou «sabbeba» apportaient toutes ces informations à la police.

Tout le monde était au courant, chacun de nous savait qu’il fallait se méfier de ces énergumènes. Ce métier a bien évolué sous le règne de Ben Ali: au départ, les informations étaient rapportées sauvagement, oralement, à la va vite, aujourd’hui elles sont retranscrites dans des rapports formels. On est donc passé de quelques pièces échangées directement contre une petite information à un salaire en bonne et due forme.

A travers toutes ces pratiques, le régime déchu a réussi à créer un des pires climats sociaux. Chacun prenait ses précautions, tout le monde avait des craintes, on ne pouvait pas s’empêcher d’observer notre voisin. Et quand on ouvrait un journal local ou quand on regardait les chaînes de télévision tunisienne, on nous matraquait avec des slogans tels que: «il fait bon vivre en Tunisie»! Chapeau Zine, tu as transformé de joyeux méditerranéens en éternels paranoïaques!

La culture du pot de vin

Les personnes au pouvoir ont usé de méthodes frauduleuses, la corruption était le maître mot. La suite est logique, les hommes de main se permettaient donc des dépassements inconcevables dans une société civile actuelle et contemporaine, un état de droits.

En voiture, chaque infraction est négociable. Les policiers n’arrêtent jamais les grosses voitures de marque, ils s’en prennent au citoyen moyen, il fallait toujours prévoir le budget «flic sale» à côté de celui de l’essence et des réparations.

Les contrôles d’identité sont devenus une habitude. Certains contrôles avaient pour but une cigarette ou une dizaine de minutes de conversation inutile parce que «monsieur» l’agent s’ennuyait. Il n’y a pas un quartier, un tournant, un carrefour dépourvu de policiers. C’e sont 23 ans de «Big brothers» qu’on vient de vivre. Je salue chaque Tunisien pour cet exploit. Cela m’impressionne plus que la révolution en elle-même. Cette révolte du peuple devait éclater à un moment ou à un autre.

Plus de deux décennies de terreur orchestrée par le régime policier de Ben Ali qui a enchaîné filatures, menaces, emprisonnements, délations et tortures, ont laissé des traces durables sur les Tunisiens, dont une grande partie se dit “broyée psychologiquement”. La chute de Ben Ali a favorisé l’émergence d'”une multitude de cas de dépressions nerveuses, de troubles psychologiques et de symptômes anxieux”, explique à l’AFP un psychiatre tunisien, le Dr Habid Nouredine.

“Nous assistons, dit-il, à l’apparition d’un stress post-traumatique social, il s’agit non seulement de troubles anxieux très importants, mais également des compensations dépressives dans cette période de latence”. “Suivant l’ampleur des symptômes qui peuvent aller d’une simple anxiété à des épisodes délirants ou des phobies, les traitements antidépresseurs sont relayés par une psychothérapie”, précise-t-il, D’après l’AFP.

Et ca continue…

«Alors que le calme était revenu depuis deux jours à Tunis, la police tunisienne a brutalement dispersé, lundi 31 janvier après-midi, à coups de matraque et de grenades lacrymogènes quelques dizaines de jeunes rassemblés dans le centre de la capitale, aux abords du ministère de l’Intérieur», Le Monde.fr d’après AFP.

Brutalement… Ils ne connaissent pas une autre façon d’agir, tout leur était, et leur est encore permis apparemment. Le pire est que certains agissements de la police depuis notre 14 Janvier se déroulent en dehors de la sphère du ministère de l’Intérieur et du Premier ministre.

Les flics qui ont attaqué sauvagement le ministère de l’Intérieur «juste pour protester» confirment à eux seuls tout ce qui a été dit dans cet article. L’attaque visait à assassiner de hauts membres du ministère. Beaucoup de civils, beaucoup d’innocents, qui ont eu le malheur de passer devant, ce jour là (le 31 janvier dernier) ont pris des coups violents et arbitraires. Ils ont représenté les dommages collatéraux.

Nous Tunisiens, nous ne sommes pas habitués aux manifestations en général, par conséquent, nos policiers ne savent pas réagir d’une manière appropriée face à des groupes de personnes, eux aussi non rompus à ce genre d’événements. Il faudrait donc trouver un moyen afin de sensibiliser les agents de sécurité et les informer par rapport à d’autres façons d’agir. Cela s’étend ensuite sur toutes les interventions qu’ils doivent effectuer au quotidien: les contrôles routiers, les interpellations, la surveillance des rues et des quartiers notamment à travers les unités mobiles.

A partir de là, il faudrait accorder une importance capitale à la «désinfection» et à la purification de tout le corps policier tunisien. La formation mais aussi le changement des mentalités est à mettre au premier plan. Le changement d’attitude envers certains sujets ou certains thèmes se fait aujourd’hui de manière totalement efficace en Europe et aux Etats-Unis (la grande opération aux USA d’après-guerre visant à faire apprécier les boyaux et les restes d’animaux jusque-là jetés à la poubelle).

Je pense qu’il est urgent de désacraliser le statut attribué aux membres du gouvernement et autres personnalités. Il faut arrêter de les «surprotéger». En effet, en passant, quotidiennement, dans la rue avec une longue file de voitures de luxe et d’impressionnantes brigades policières, les cortèges de la peur, comme je me plais à les appeler, accentuent le sentiment de mal-être chez les citoyens et les fait automatiquement passer pour des criminels, des gens en qui le gouvernement n’a pas confiance. Quand je pense que les ministres en Suède partent au boulot en bus… Il y a du chemin à faire.

Mehdi M’ribah

Source : http://www.lepost.fr/article/2011/02/25/2417011_de-ce-qui-est-de-la-police-en-tunisie.html