Manifestement, le gouvernement de transition et le président de la République par intérim sont complètement perdus. En manque flagrant d’un programme réaliste et salvateur, d’une imagination à même de trouver des solutions immédiates, débordés par la rue qui, elle-même, ne sait plus ce qu’elle veut au juste (elle demande le départ de Ghannouchi d’un côté et son maintien de l’autre), ils se trouvent jour après jour face à une situation imprévisible, intenable, parfois explosive.
Pour le moment, il y a trois urgences: l’emploi des jeunes, la sécurité dans le pays, et, évidemment, la désignation d’un gouvernement et d’un Premier ministre qui soient le plus près possible de la masse dont les jeunes constituent l’axe central.
Il faudrait se dire qu’aujourd’hui, les 30 ans et moins n’ont pas vraiment connu Bourguiba. Ils sont nés et ont vécu avec le régime totalitaire de l’ex-président dont ils ont été, à la fin, dégoûtés et outrés par la fuite toute lâche vers l’étranger après avoir dévalisé le pays.
Ce sont donc ces jeunes qui, galvanisés par Bouâzizi, ont fait la Révolution. Dans cette Révolution, il faut lire surtout, outre le ras-le-bol et l’expression d’un désespoir nourri par tant de déceptions, une grande méfiance vis-à-vis d’une classe politique qui, déjà qu’elle n’a rien apporté de concret depuis 40 jours maintenant, semble s’accrocher encore au pouvoir. Cette méfiance est tout à fait compréhensible: les jeunes pensent –à tort ou à raison– que leurs ‘‘vieux au pouvoir’’ sont sclérosés, ‘‘amortis’’ et qu’ils ne peuvent, au meilleur des cas, que poursuivre la politique du président déchu. En termes plus clairs, ils veulent une classe dirigeante jeune –jeune!– et, donc, de nouvelles têtes.
Que Monsieur Mbazaâ veuille bien nous excuser, mais la nomination de M. Béji Caïd Essebsi au poste de Premier ministre est une erreur de plus. Entre M. Essebsi (84 ans) et les 30 ans d’aujourd’hui, il y a un écart de plus de deux générations (une génération étant établie à 25 ans). M. Essebsi a beau être un génie, un grand homme politique, un grand économiste, et avoir une grande vision avant-gardiste, il ne comprendra jamais les jeunes d’aujourd’hui, ni ceux-ci ne le comprendront jamais.
Déjà que les jeunes d’aujourd’hui disent ne pas comprendre Ghannouchi, comment vont-ils comprendre et digérer un ex-ministre sous Bourguiba qui leur semble parachuté d’une autre planète? Certes, M. Mbazaâ ne connaît que ses vieux collègues dont il a fait appel à M. Essebsi. C’est certainement bien vu à ses…yeux, mais cela est très mal vu par les jeunes d’aujourd’hui. Sachant que le pays grouille de têtes bien formées et… jeunes (!), personne –même pas nous– ne comprend la raison d’une telle nomination.
Or, cette période de flottements risque de retarder encore et encore la sortie du pays de son inertie. Alors que l’après-14 janvier est censé corriger les fautes du régime déchu, on va devoir corriger les erreurs actuelles.
De toute manière, la Tunisie de demain ne se fera pas avec ses aïeuls. Elle se fera avec ses jeunes d’aujourd’hui. Qu’attendons-nous pour remettre le flambeau à cette jeune génération?