Une manifestation devrait démarrer à 14h30 aujourd’hui de devant le ministère du Tourisme. Serait-ce le fait de la majorité silencieuse décriée par Mohamed Gahnnouchi, Premier ministre démissionnaire dans son dernier discours? En Tout cas, des représentants de l’UTICA, l’UTAP, la FTH, la FTAV, des banques, des organismes financiers, d’entreprises citoyennes, patrons et employés, et professionnels représentant différents secteurs d’activités se sont donnés le mot pour se rejoindre et exprimer leur position par rapport à ce qui se passe dans le pays.
Une position où ils opposent un NON à la destruction du tissu entrepreneurial tunisien, aux «NON» systématiques, aux sit-in insensés, aux manifestations injustifiées, aux grèves destructrices, aux revendications exagérées, à l’hégémonie du syndicat et des courants politiques extrémistes qui ont décidé qu’ils représentent à eux seuls la voix du peuple.
La révolution n’a exclu personne, et si elle a été déclenchée par les chômeurs diplômés, vendredi 14 janvier toutes les classes sociales et toutes les catégories socioprofessionnelles se sont retrouvées à l’Avenue Habib Bourguiba pour appeler à la création d’une démocratie en Tunisie. Personne ne doit, par conséquent, revendiquer le droit de parler au nom du peuple. Parmi les gens du peuple, de larges pans aspirent à la stabilité du pays, au renforcement du tissu entrepreneurial, au développement économique et à la création d’opportunités d’emplois pour les jeunes diplômés chômeurs et acteurs de la révolution. De larges pans veulent négocier, revendiquer, réaliser les objectifs de la révolution, et dans le même temps préserver l’équilibre précaire sécuritaire et économique du pays.
La marche organisée aujourd’hui veut exprimer le ras-le-bol de nombre de Tunisiens qui refusent d’être à l’origine de la défaite de la révolution, en protégeant une dynamique économique largement affectée par l’état d’incertitudes, d’ambigüité et d’instabilité dans lequel vit le pays.
«Pour nous, en tant que mouvement du Renouveau de l’UTICA, estime Abdelaziz Dargouth, entrepreneur et membre de la Centrale patronale, nous voulons, par cette marche marquer notre présence, montrer que nous existons et que nous ne sommes pas absents du paysage politique, économique et social du pays. Mais plus que cela, nous appelons les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et les partis politiques qui ont déjà mis en place un plan pour la reconstruction économique et politique du pays, ceux qui possèdent une vision claire et ont des programmes concrets à s’asseoir ensemble autour d’une table et en discuter sereinement et en toute transparence, car il ne s’agit pas seulement d’être une force de protestations mais il faut savoir être une force de propositions».
Ne pas marginaliser l’entrepreneuriat privé
Les opérateurs privés et les jeunes promoteurs refusent d’être marginalisés pour être réduits au rôle de simples spectateurs alors que ce qu’ils se sont efforcés de construire depuis des années est en train de s’effondrer devant leurs yeux, suivant la logique toute américaine, «du chaos jaillit la lumière».
«Nous ne voulons pas et nous ne ferons pas marche arrière pour ce qui est de nos choix économiques. La privatisation et la sous-traitance sont deux créneaux très importants qu’il nous faut maintenir. Ils permettent de créer des emplois et de minimiser des coûts», indique Wafa Sayedi Makhlouf qui participe à la manifestation et qui ajoute: «En tant que secteur privé, je n’ai arrêté de travailler que deux jours le mois de janvier vu la situation d’insécurité, alors que dans les secteurs publics, plusieurs n’ont toujours pas repris le travail sérieusement… Jetons un coup d’œil sur les déchets ménagers qui envahissent les municipalités qui ne font pas appel à des sous-traitants … En tant que privé, je dis que maintenant que la transparence règne, remettons-nous au travail, que toutes les offres ou les opportunités soient traitées d’une façon équitable, «willi yirbah saha lih» (tant mieux pour celui qui gagne)».
Pour Wafa, les institutions de l’Etat doivent jouer leur rôle: les contrôleurs CNSS, les contrôleurs des finances, et les inspecteurs de travail… L’Etat doit jouer son rôle pleinement et ne pas annuler des accords sous la pression de l’UGTT, «Nous militons aujourd’hui pour que l’UTICA joue pleinement son rôle en tant que moteur de l’économie nationale».
Khaled Fourati, entrepreneur, affirme l’engagement du patronat dans la lutte contre le chômage. «J’ai officialisé le recrutement de deux nouveaux techniciens supérieurs qui étaient en stage depuis 6 mois dans l’entreprise (l’effectif de l’entreprise étant de 25 personnes). Je compte également recruter deux nouveaux stagiaires du même profil. Ceci ne veut en aucun cas dire que le carnet de commande est plein à craquer, mais je considère que toute entreprise se doit de jouer son rôle historique. Enfin, et en concertation avec les employés de la société, nous mettons en place un système d’intéressement qui va dans le sens: “Travailler plus pour gagner plus”. Mais pour cela, le retour au calme est indispensable.
Un appel a déjà été lancé pour un sit-in devant la succursale de la BCT (Banque centrale de Tunisie) de Sfax tous les jours de 17H à 19H pour dénoncer les manifestations gratuites et appeler à la reprise du travail et de la vie active.
Des sit-in ont lieu depuis mardi 1er mars devant les locaux de l’UGTT et sur tout le territoire national, pour appeler la centrale syndicale et ses bases syndicales à préserver les entreprises pourvoyeuses d’emplois et de richesses.
Sur les réseaux sociaux, des appels répétitifs à libérer les paroles constructives et à mettre fin «aux opportunistes politiques et manipulateurs qui détruisent le pays». «Nous sommes très nombreux à aller chaque après-midi à la coupole d’El Menzah: soyez au RDV! Le vrai! Le constructif! Le positif! Engageons-nous pour la plus noble des causes: notre pays avant tout». «Que les gens sincères et désespérés se joignent à nous en masse».
Dans leur colère et le sentiment d’impuissance qu’ils ressentent, certains Tunisiens se défoulent sur le Net. Une internaute a publié sur son profil la recette suivante: «à celui qui cherche une bonne formule pour faire sauter un pays, je vous l’offre gratuitement: Jrad and co, les fronts de résistance du RCD, les sbires de Leila, et quelques désœuvrés à la recherche d’une quelconque reconnaissance d’un peuple prêt à jouer aux scouts à chaque fois qu’on l’interpelle»…
Mais au-delà des conflits idéologiques et de cette liberté d’opinion fraîchement découverte, ne nous méprenons pas tous sur nos objectifs qui sont avant tout ceux d’assurer la victoire de la révolution en empêchant que le pays tombe dans le désordre et la désolation.
Pour ce, il faudrait que chaque composante de la société assure son rôle, que les partis politiques fassent de la politique, que les magistrats gardent leur neutralité et leur droit de réserve, que les avocats assurent leur rôle de défenseurs des droits des uns et des autres, que les entrepreneurs investissent leurs efforts dans la construction de l’économie, que le gouvernement assure la bonne marche des institutions et des organismes étatiques et que l’UGTT focalise ses efforts sur la défense des droits syndicaux et sociaux des travailleurs sans se mêler de politique.
Pour terminer, une belle conclusion écrite de la main de Jaafar Lamouchi, journaliste: «Pourquoi ne pas instaurer une nouvelle mentalité en Tunisie, du style “Je m’engage” au lieu de “dégage”. Remplaçons le “Dégage“ par “Je m’engage“. Je m’Engage avec ma plume, mon expertise et ma pensée à ne plus détruire mais à construire… Je m’engage à protéger ma Tunisie et à lui donner tout ce qui est en mon pouvoir et même plus… Je m’engage à être responsable envers ma Tunisie».
Attaquons-nous aux véritables plaies du pays, appelons à sa reconstruction et à la mise en place des institutions et des garde-fous nécessaires pour surveiller ce souffle de liberté nouvellement acquis et vulnérable. Allons à l’essentiel et ne nous arrêtons pas au superficiel.