Marc Rennard, vice-président France Telecom Orange : «Nous n’avons bénéficié d’aucun privilège pour la licence Orange Tunisie»

orange-030311.jpg«Non, nous n’avons pas eu de statut privilégié ou de traitement particulier lors de l’attribution de la licence pour l’acquisition d’Orange Tunisie. Les faits l’attestent». D’après les dires de Marc Rennard, Exécutif vice-président international Afrique et Moyen-Orient, Orange Tunisie a franchi une belle étape en construisant un réseau très dense grâce à la réalisation de 1.000 stations BTS en moins d’un an. Son succès n’est cependant pas avéré à ce jour, puisqu’on ne voit pas encore de retour sur investissement. En attendant, il faudrait que l’économie redémarre le plus rapidement possible.

Monsieur Afrique de France Télécom répond à nos questions sereinement. Entretien.

WMC: Votre visite en Tunisie entre-t-elle dans le cadre des visites régulières que vous effectuez en Tunisie, ou est-elle le fait du projet du décret-loi portant saisie des biens mobiliers et immobiliers d’un certain nombre d’anciens dirigeants et proches de l’ancien président de la Tunisie et comprenant, entre autres, votre principal associé ?

Marc Rennard: Premièrement, je n’ai pas à cet instant d’informations officielles sur une décision de l’État de saisir les avoirs d’Investec [cette société détenue par Marwan Mabrouk détient 51% du capital d’Orange Tunisie, NDLR]. En revanche, nous effectuons des visites de travail régulières et nous discutons sur différents sujets et nous sommes également présents au Conseil d’Administration d’Orange Tunisie au côté des administrateurs d’Investec. Il se trouve que cette fois-ci, je suis d’abord venu saluer les équipes pour le travail effectué, les encourager et leur renouveler notre confiance et notre engagement d’investissement à long terme. C’est surtout un message de continuité auprès des équipes.

Ensuite, je suis venu vous rencontrer… à un moment particulier de l’histoire de la vie du pays et de l’entreprise.

Si l’on devait décrire ce déplacement doit-on considérer qu’il est l’expression d’un souci, d’une inquiétude ou d’une préoccupation de la part du groupe France Télécom?

Je pencherais plutôt pour le terme préoccupation. En tant que France Télécom, nous tenions à marquer, par notre présence, notre soutien au travail remarquable réalisé par les équipes tunisiennes d’Orange Tunisie. Les 1.100 collaborateurs ont maintenu le service dans une conjoncture de crise et précisément au tout début de la révolution quand tout le pays traversait une période des plus difficiles. Le personnel a été dévoué, les équipes se sont relayées pendant toutes les périodes de couvre-feu et ont continué à faire fonctionner le réseau. C’est donc un coup de chapeau que je suis venu donner aux équipes sur place, et j’ai aussi voulu leur transmettre des messages réconfortants, les rassurer quant à notre soutien en tant qu’opérateur industriel et leur dire notre fierté de voir une jeune entreprise âgée tout juste de quelques mois atteindre presque un million de clients.

Nous voulons leur dire que nous sommes avec eux, derrière eux et que nous leur apporterons toute l’aide et l’assistance dont nous disposons. Aujourd’hui, sur le marché, Orange est, en particulier, synonyme de clé 3G appréciée à tel point que nous avons été en rupture de stock pendant quelques jours. En tant qu’opérateur international et indépendamment de la conjoncture, nous reconnaissons la valeur des efforts fournis par nos équipes pour leur entreprise et leur contribution dans l’enrichissement des offres en direction des consommateurs locaux.

D’autre part, il était important pour nous de calmer les inquiétudes des personnels d’Orange concernant leur avenir.

Dans l’éventualité où les parts de votre actionnaire principal Investec détenus par Marwan Mabrouk sont saisies par l’Etat, envisagez-vous la possibilité de les acquérir?

Premièrement, je n’ai pas à cet instant d’informations officielles sur une décision de l’État de saisir les avoirs d’Investec.

La question de l’acquisition des parts de notre actionnaire principal n’est pas sur la table aujourd’hui et ne sera pas de toutes les manières possibles puisque de par le cahier de charges en vigueur duquel nous avons soumis notre offre pour avoir la licence, Orange Tunisie doit être détenue pendant 5 ans de manière majoritaire par un actionnaire tunisien. Ce que vous dites n’est donc pas à l’ordre du jour.

Dans le cas où l’instruction se rapportant aux procédures suivies pour l’accord d’une troisième licence estime que l’offre a été bradée et que la Licence vous a été attribuée au détriment d’offres plus avantageuses, seriez-vous prêts en tant que partenaire principal d’Investec à vous acquitter de la différence?

Vous évoquez la question de l’attribution de la licence et c’est un point que je tiens à expliquer. Chacun a le droit d’apporter sa propre interprétation à propos du déroulement de l’appel d’offres. Toujours est-il qu’il existe des faits incontestables. La licence d’Orange Tunisie a été acquise suite à un processus d’appel d’offres international. Près de dix opérateurs ont retiré le dossier. Le contexte du marché est particulier puisque le taux de pénétration est très élevé et à hauteur de 90%. La Tunisie est un pays de 10 millions d’habitants et être un troisième opérateur dans pareil contexte est un véritable défi. L’appel d’offres était soumis à plusieurs conditions, le consortium devait être détenu majoritairement par des Tunisiens, il devait y avoir un opérateur international qui bénéficiait d’un statut particulier pour ce qui est de la réputation, la maîtrise technique et l’expertise technologique en fixe et en mobile. Ces critères limitaient d’ores et déjà le nombre de candidats possibles. En tant que France Télécom, nous avons créé avec Investec un consortium qui répondait aux critères pour l’attribution de la licence sachant que ces critères stipulaient que celui qui avait la meilleure note sur le plan technique pouvait surenchérir en deuxième lieu sur le candidat qui était moins bon techniquement mais qui avait proposé une offre financière supérieure.

Nous avons été classé premier techniquement et nous avons surenchéri pour nous aligner sur la meilleure offre financière en payant 257 millions de DT le prix de la licence, soit 90 MDT de plus que prévu. Un prix plus élevé que celui que nous voulions mettre au début, mais qui est vraiment un prix de marché pour un troisième entrant. Pour ceux qui en doutent, il est facile de se renseigner à ce propos, il y a beaucoup de marchés et de licences dans des pays que je connais bien en Afrique de l’Ouest, nonobstant les différences, qui sont payés entre 30 millions et 40 millions €.

La Licence en Tunisie a été payée à un prix élevé par rapport à la moyenne des prix en vigueur.

Et pour ce qui est de l’hypothèse d’une revendication de l’Etat touchant à la différence de prix?

La réponse est bien évidemment non. Parce que nous estimons que nous avons payé la licence à son juste prix. La question ne se pose pas et on n’a jamais vu dans le monde un pays renchérir suite à l’octroi d’une licence.

Dans le métier des télécoms, la licence d’un premier opérateur qui arrive en monopole est toujours plus chère que la seconde et ainsi de suite. En ce qui nous concerne, nous sommes dans une phase d’investissement. Il faut savoir qu’en plus des 257 MDT pour l’acquisition de la Licence, nous avons un programme d’investissements de 500 MDT dans le réseau et les infrastructures, ce qui est colossal. L’entreprise est aujourd’hui très endettée, ce qui est normal car elle est en phase de démarrage et dans un secteur très capitalistique.

Ou, mais est ce que le processus de développement de la société est prometteur?

Absolument. Personnellement, je crois en ce marché et en la belle image des 3G, et je suis très confiant quant à l’avenir de l’entreprise. Nous suivons notre feuille de route, nous n’avons pas changé nos plans, nous continuons à investir et à développer le réseau. Nous progressons tous les jours et notre chiffre d’affaires augmente. Ceci étant, n’oublions pas que la vie des opérateurs télécoms s’évalue sur des années, ce n’est pas tout et tout de suite. Notre lancement a été fait, il y a à peine 8 mois et nous sommes toujours en phase d’investissements. Orange Tunisie, c’est prometteur, ambitieux mais il y a également des dettes.

Par rapport à la consolidation du réseau, comptez-vous renforcer vos investissements ?

Bien sûr, nous avons des obligations par rapport à la licence que nous avons respectée à ce jour et nous avons un plan d’investissement et de financements. Nous avons levé près de 400 MD auprès des banques tunisiennes qui ont accepté de financer Orange Tunisie avec en garantie les équipements de la société et le fond de commerce, et sans garanties des actionnaires. C’est une preuve de confiance des banques tunisiennes.

Avez-vous évalué les pertes subies par Orange Tunisie depuis la révolution?

En fait, pas grand-chose, quelques agences saccagées et un site arrêté. Mais en fait, les véritables pertes se rapportent au ralentissement de l’économie, ce n’est pas autant les pertes matérielles. L’économie doit rapidement repartir. Pendant les crises, tout le monde téléphone, donc l’impact n’est pas réellement significatif par rapport à la croissance du secteur des télécoms. Le véritable risque est que si nous ne revenons pas au mode de croissance normal, s’il y a un problème de paupérisation de l’économie, c’est là que nous pouvons souffrir. Si difficultés il y a, elles sont devant nous.

Etre partenaire avec Investec dans cette conjoncture où tout est remis en cause ne vous dérange pas?

Nous sommes partenaires avec Investec du groupe de Monsieur Mabrouk depuis une dizaine d’années puisqu’il était président d’une société d’Internet qui travaillait sous la marque Wanadoo du groupe France Télécom avant Orange. Nous avons ensuite formé un consortium avec lui pour l’acquisition de parts de Tunisie Télécoms en 2005, et nous avons perdu l’offre, preuve que nous ne sommes pas invincibles… Il était donc naturel que l’on se retrouve ensemble puisqu’il fallait un opérateur industriel tunisien, un opérateur minoritaire international qui avait de l’expérience dans le fixe et dans le mobile et depuis, nous avons fonctionné normalement.

Dans l’éventualité où la configuration de l’actionnariat majoritaire tunisien change, comptez-vous garder le même président du Conseil d’Administration?

Pour l’instant, l’actionnaire majoritaire s’appelle Investec, il occupe 4 sièges au Conseil d’Administration, nous en avons trois et à ce titre, il est le président. Le directeur général d’Orange est Thierry Marigny et c’est lui qui gère et exerce le pouvoir dans la société. Si demain il y avait un autre actionnaire et si cet actionnaire est l’Etat, je dirais que nous avons en Tunisie une stratégie d’investisseurs de long terme et une longue tradition dans le travail avec les Etats. Nous le faisons d’ailleurs en Jordanie, au Sénégal, en France, en Pologne et ailleurs. Le management d’Orange Tunisie fonctionne normalement, n’anticipons pas sur des choses qui ne sont pas encore arrivées, si d’aventure les choses venaient à évoluer dans un sens ou un autre, nous aviserons.

Pour le moment, notre souci principal est d’affirmer à l’Etat, aux autorités de ce pays que nous sommes désireux de pérenniser notre partenariat et de faire en sorte qu’Orange Tunisie continuera à s’investir au service de ses clients et de la population tunisienne. Apporter de l’innovation et des services performants, c’est cela notre épine dorsale. Nous espérons que cela se fera dans le respect des conventions. Nous ferons ce qu’il faut pour que notre image soit la mieux perçue par la population.

Au terme de cette période d’activité, estimez-vous que les clauses de votre accord avec l’Etat tunisien lors de l’octroi de la licence ont été respectées ?

Pour sa part Orange Tunisie a respecté l’intégralité des engagements prévues dans le cahier des charges. En revanche, il y a un certain nombre de solutions mentionnées dans le cahier des charges qui n’ont toujours pas été mises à la disposition d’Orange Tunisie alors que le cahier des charges le prévoyait. A tire d’exemple, tout ce qui touche au dégroupage total ou partiel de la ligne fixe, et à la portabilité des numéros.

Et concernant l’exclusivité de la licence 3G?

Tunisie Télécom a annoncé qu’elle avait une licence 3G, nous l’avons appris par la presse. Nous n’avons pas été notifiés à ce propos, nous ne savons pas si c’est officiel, nous n’avons pas vu d’appel d’offres. Il est normal que le directeur général d’Orange Tunisie soit irrité par le fait qu’avant la fin de la période d’exclusivité, on aurait pu déjà accordé la licence 3G à un autre opérateur.

Et s’il s’avère que c’est vrai et que le terrain le prouve

Dans notre contrat avec l’Etat tunisien, il y a des clauses complémentaires. Ceci étant, aujourd’hui le plus important est de créer le consensus et nous voulons rester positifs. Nous comptons par conséquent nous adresser aux autorités et nous commencerons par discuter avec nos vis-à-vis au niveau des pouvoirs publics.

Orange Tunisie est un projet prometteur et une belle réalisation. Qui pénalisera ce bel outil?

Nous employons 1.100 collaborateurs, nous avons créé 3.600 emplois indirects et France Télécom fait également travailler 2.200 personnes dans les centres d’appels en Tunisie.

Et en tant que partenaire de la Tunisie, nous prenons en considération la réalité économique du pays; nous sommes un acteur qui accompagne le changement, qui respecte les règles et qui dialogue de façon sereine avec ses partenaires.