Fiscalité du patrimoine : un scénario de réforme sensé, l’autre “délirant” pour les experts

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ôt de solidarité sur la fortune (ISF) (Photo : Mychèle Daniau)

[04/03/2011 15:46:36] PARIS (AFP) La réforme de la fiscalité du patrimoine, dont le gouvernement a esquissé jeudi les contours, laisse sceptiques les économistes et experts interrogés par l’AFP, qui jugent l’une des deux options, celle de la suppression de l’ISF, très difficile, voire impossible à mettre en oeuvre.

Cette option est jugée “totalement indigeste”, “complètement inapplicable”, ou souffrant d’un “vice fondamental”, selon ces experts.

Le gouvernement a précisé les deux possibilités retenues pour la réforme qu’il veut boucler en mai.

Dans les deux cas, le bouclier fiscal sera supprimé, et la différence porte sur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), avec toutefois une certitude: 300.000 ménages n’y seront plus assujettis.

Le premier scénario prévoit l’aménagement de l’ISF, avec un seuil d’entrée relevé et des taux abaissés. Le second, “radical”, selon les termes du ministre du Budget François Baroin, propose son remplacement par un nouvel impôt sur l’évolution du patrimoine d’une année sur l’autre.

Pour Michel Taly, avocat fiscaliste, pas de doute: “le premier scénario est le seul qui puisse être mis en place rapidement”. En outre, “une partie de la majorité ne veut pas prendre le risque de supprimer totalement l’ISF”, rappelle-t-il.

En dehors des questions politiques ou de calendrier, les experts s’interrogent sur la pertinence des deux options.

Si pour Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes, le premier scénario, consistant à aménager l’ISF, va “plutôt dans le bon sens”, le second est une “innovation conceptuelle complètement inapplicable”.

Dans ce scénario, une taxation de 19% serait appliquée chaque année sur la progression de valeur des biens immobiliers et des titres mobiliers. En cas de baisse, les moins-values pourraient être reportées sur les dix années suivantes. L’administration fixera les évolutions de valeur des biens immobiliers.

Cela revient à taxer des “plus-values latentes”, explique Philippe Bruneau, avec des recettes fiscales “variables en fonction des cycles”. “Je n’y crois pas un instant”, tranche-t-il.

Selon lui, “certains ont pu être impressionnés par la réforme fiscale aux Pays-Bas”, où le fisc prend en compte l’ensemble du patrimoine des ménages, considère qu’il rapporte 4%, et applique une taxe de 30% sur ce revenu fictif. “On a remis cette réforme à la sauce franco-française et ça donne un +gloubi-boulga+ totalement indigeste”, estime Philippe Bruneau.

Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, fait preuve des mêmes réserves: “Je n’aurais jamais pu imaginer que des gens très sérieux puissent proposer quelque chose d’aussi aventureux et pervers que ce système!”.

“Le vice fondamental” de ce scénario repose, selon lui, sur “l’idée d’imposer un accroissement virtuel de richesse”. Or “certains contribuables n’auront pas nécessairement les liquidités pour payer”, prévient-il.

“En plus, les recettes fiscales dépendront de la tendance du marché, c’est une usine à gaz monstrueuse!”, lance-t-il.

Christian Saint-Etienne, professeur à Paris-Dauphine, va encore plus loin: “ce scénario est délirant, bureaucratique, inapplicable, mort né”. Il consisterait en effet à frapper les ménages en train de se constituer un patrimoine et non pas ceux qui en ont déjà un, explique-t-il.

L’économiste juge le premier scénario “beaucoup plus raisonnable”, avec toutefois un bémol. Dans ce cas de figure, l’imposition s’appliquerait sur la totalité du patrimoine et non plus, comme aujourd’hui, sur la différence entre la valeur totale du patrimoine et le seuil d’entrée dans l’ISF.

“Cela signifie qu’en dessous de 1,3 million d’euros on ne paiera rien, mais qu’avec dix euros de plus, on sera énormément taxé”, résume Christian Saint-Etienne.