Tunisie : La révolution tunisienne serait-elle inédite?

revolution-07032011-artl.jpgAprès plus d’un mois et demi de tergiversations et de manœuvres sans lendemain
de l’ex-gouvernement provisoire de Mohamed Ghannouchi, le président provisoire,
Foued Mebazaa, a pris l’heureuse et salutaire décision d’enclencher la
transition démocratique du pays sur la base de l’élection d’une Assemblée
constituante (qui aura lieu le 24 juillet 2011) avec comme préalable la
révision, dans un mois au plus tard, de la loi électorale (fin mars 2011).

Cette décision courageuse, à la hauteur de l’esprit révolutionnaire qui prévaut
dans le pays, est un consensus national à inscrire à l’actif de la direction
provisoire du pays, toutes tendances confondues et des Tunisiens, sans exclusion
aucune.

Elle vient mettre fin au flou qui a marqué l’action du gouvernement provisoire
précédent et améliorer la visibilité de la Tunisie et pour le commun des gens,
et pour les partenaires-amis du pays, et pour les touristes, et pour les
investisseurs étrangers.

Elle a surtout le grand mérite d’avoir évité au pays de connaître ce que
l’universitaire et historien français Jean Tulard appelle dans son livre «les
Révolutions» la quatrième phase de tout processus révolutionnaire: le dérapage
vers la terreur.

Pour Jean Tulard, toutes les révolutions (française, bolchévique, mexicaine…)
suivent la même évolution: elles germent et naissent dans les mentalités grâce
aux intellectuels, explosent dans les villes du pays grâce aux couches
populaires, favorisent, dans l’euphorie, une fraternité nationale avant de
glisser, in fine, dans la terreur, c’est-à-dire la prise du pouvoir par une
dictature new look: un autre parti totalitaire, l’armée…

La révolution tunisienne, pour peu qu’elle continue à évoluer pacifiquement vers
une démocratie, serait une première dans l’histoire de l’humanité. En faisant
l’économie d’un dérapage vers la terreur, la révolution tunisienne serait une
trouvaille, spécificité, voire un cas d’école.

Autre conséquence positive de cette décision: elle a épargné au pays un conflit
ouvert entre, d’un côté, des révolutionnaires purs et durs, un peuple de jeunes
diplômés chômeurs de l’intérieur du pays déterminés à mettre la pression sur un
gouvernement manœuvrier, et, de l’autre, des Tunisois conservateurs, impatients
de retrouver leur confort et privilèges, d’avant-14 janvier 2011.

Les deux tendances étaient représentées, respectivement, par les manifestants de
La Kasbah (celles de Tunis et de Sfax et d’autres villes du pays…) et ceux d’El
koubba (Cité olympique du quartier chic d’El Menzah 1, pour la plupart, des
Tunisois (knanouettes) qui, pour la plupart, se sont donné, tout juste, la peine
de naître.

A la faveur de cette décision hautement politique qui vient consacrer
définitivement la rupture non seulement avec l’ère Ben Ali mais également avec
55 ans d’autoritarisme, les deux communautés se sont heureusement réconciliées
et manifestent actuellement ensemble. Dont acte.

Les grands perdants de cette décision sont manifestement ce que Bourguiba
appelaient «les khobzistes» qui voient dans ce bouleversement une précieuse
opportunité pour rappeler qu’ils n’avaient rien connu de l’indépendance laquelle
leur a été confisquée et qu’ils étaient toujours laissés pour compte. Viennent
ensuite les personnes mafieuses malintentionnées (baltagia et autres
sauvageons), les poujadistes (patrons), des chasseurs de primes et de
subventions, qui s’étaient servis et n’ont jamais servi le pays (précarité de
l’emploi, très peu de créations de valeur ajoutée), et enfin les resquilleurs,
l’ensemble de mouvements politiques qui se sont vus se remettre sur un plateau
un cadeau inespéré: une révolution de jeunes à laquelle ils n’ont guère
contribué.