Réagissant à la question qui lui avait été posée samedi 5 mars 2011 par Habib
Laghribi, journaliste de la chaîne qatarie «Al Jazeera» à propos du jugement en
référés rendu par le tribunal de Première instance de Tunis, portant cessation
des activités de la Commission d’investigation sur les affaires de la
corruption, Béji Caïd Essebsi, Premier ministre, a déclaré le maintien en
fonction de ladite Commission : «Il est fort probable que le juge qui a rendu
pareil jugement n’était pas au courant de la promulgation du décret-loi
présidentiel et qui porte création de la commission. Ce décret-loi fait foi et
ne peut en aucun cas être mis en doute, être abrogé ou retiré par un jugement du
tribunal».
Cette déclaration émanant du Premier ministre confirme par conséquent la
Commission d’investigation sur les affaires de la corruption dans ses fonctions.
Reconnaissons à ce propos que cette commission a subi, depuis sa création, des
attaques de toutes parts mettant en doute la compétence ainsi que l’intégrité
morale de ses membres. Lors d’un entretien accordé par Abdelfattah Amor,
président de la Commission au
Webmanagercenter ,
ce dernier a dénoncé l’acharnement sur les membres de sa commission: «On a
colporté des rumeurs sur beaucoup de personnes, personne n’y échappe, mais ce
sont tout simplement des bobards. D’ailleurs, j’ai tenu à en discuter avec
chaque membre et rien n’est fondé ou véridique. Que ceux qui soutiennent le
contraire et qui disposent d’un seul élément de preuves se manifestent et le
fournissent, mais traiter des personnes de cette manière et les traîner dans la
boue est absolument inadmissible».
Le jugement du samedi 5 mars intervient suite au dépôt d’une plainte d’un groupe
d’avocats au mois de février dernier et appelant à la cessation de l’activité de
la Commission.
Cette action paraît tout au moins surprenante lorsque l’on sait que toutes les
composantes de la société tunisienne cherchent à connaître la vérité sur les
abus et malversations commis par les partisans et profiteurs de l’ancien régime.
La mission de la commission serait-elle en contradiction avec celle des
magistrats?
Pour le président Abdelfattah Amor ainsi que les membres de la Commission, il
n’est nullement question de se substituer à une juridiction. «Ce n’est pas notre
objectif ni notre boulot, tout le travail revient à la justice», et de préciser
à propos du dernier jugement portant cessation des activités de la commission:
«Je ne me permettrais pas de critiquer qui que ce soit s’est attaqué à la
commission, je m’autoriserai toutefois à poser les questions suivantes:
-Pourquoi cette Commission soulève-t-elle autant de tentatives déstabilisantes?
-Pourquoi ne s’est-on pas posé des questions à propos de la compétence du juge
des référés?
-Pourquoi le juge des référés ne s’était pas assuré des qualités des plaignants
et des intérêts qui les poussent à agir de la sorte?
-Pourquoi a-t-il ignoré un texte de droit positif à sa disposition et qui
d’autant plus a été publié?
Rappelons que le décret-loi n°7 portant création de la Commission
d’investigation sur les affaires de
corruption en date du 18 février 2011
octroie au président désigné le droit de choisir les membres de la commission
(article 4). Il concède aux membres au nombre d’au moins 20 experts répartis
entre la Commission générale et la commission technique en cas de nécessité le
droit d’effectuer les investigations nécessaires, de réunir les informations et
de procéder à des opérations de fouilles et de séquestrations de tous les
documents et ou objets dans les lieux professionnels ou privés (article 3), et
ceci sans faire recours à aucune autre procédure.
L’article 5 du même décret-loi accorde, pour sa part, au président de la
Commission et à ses membres l’immunité dans le cadre de l’exercice de leurs
fonctions. Ce qui laisse entrevoir la non-application de toute décision de
justice à leur encontre. Le jugement du tribunal de première instance a été
rendu le 5 mars, soit cinq jour après la publication du décret-loi sur le
Journal officiel.
Ceci étant, il est quand même étonnant de voir que cette commission a été au
centre de toutes les polémiques, depuis la désignation de ses membres jusqu’au
déroulement de ses missions et la légalité des procédures qu’elle a poursuivies
à ce jour.
Sans oublier le fait que nous attendons à ce jour des informations à propos des
mesures prises par la justice tunisienne à l’encontre des conseillers proches de
l’ancien président de la République et qui lui ont offert toutes sortes
d’expertises et de conseils d’ordre légal et autres pour spolier et abuser en
toute légalité des biens privés et bien entendu publics de leurs pays. A ce
jour, nous ne savons pas encore où en sont les investigations les concernant,
s’ils ont été inculpés, interrogés, arrêtés ou s’ils sont réellement en
résidence surveillée.
Quant à la Commission d’investigation sur les affaires de la corruption et à
voir l’état de déliquescence de l’Etat lors du règne de Ben Ali, de
l’affaiblissement des institutions, des manquements éthiques et du non respect
de la loi qui a frappé, sans exception, tous les corps de métiers dans notre
pays, il parait normal qu’elle soit en bute à autant d’attaques. Car elle
pourrait bien être celle par laquelle arriveraient tous les malheurs si par
malchance on a été un jour ou l’autre en relation avec l’un ou l’autre des
proches du président ou si l’on a profité du système de corruption qui a
gangrené l’Etat en profondeur.
Ceux qui appréhendent autant les conclusions de cette Commission
ressentiraient-ils déjà des complexes de culpabilité?