Après plus de deux mois du déclenchement de la révolution populaire, la Tunisie
renait de ces cendres. La matinée du 5 mars 2011, au lendemain d’un discours,
estimé réconfortant, du nouveau Premier ministre
Béji Caïd Essebsi, la vie
reprend… chacun à son rythme. La levée du sit-in des manifestants de La Kasbah,
après que la majorité de leurs demandes a été réalisée, a apaisé la tension,
bien que les troubles à Ksar Helal et Gafsa montrent que la sécurité ne soit
encore totalement revenue.
L’activité commerciale qui a été bloquée pendant plusieurs semaines commence à
reprendre, quoique l’anarchie s’installe dans certaines rues de la capitale. Les
commerçants ambulants qui ont investi l’avenue Habib Bourguiba pour être écartés
par la suite, se sont trouvé un nouveau local. Au Passage, devant la station
principale du métro et le jardin public, un souk s’est installé. Des produits de
tout genre et de marques sont exposés attirant une foule immense voulant
profiter d’une offre de prix très alléchant. On trouve difficilement un passage
pour quitter enfin la station. Ce qui signifie que certains profitent de l’état
d’instabilité… en attendant la réaction de la municipalité de Tunis.
A l’avenue Habib Bourguiba, les commerçants commencent à rouvrir leurs
boutiques. L’espace commercial Le Palmarium, qui a été attaqué le week-end les
27 et 28 février 2011, a rouvert, bien que l’entrée principale soit restée
fermée. Il faut dire que certaines boutiques ont été complètement saccagées.
Leurs propriétaires sont en train de réparer les casses en espérant reprendre au
plus vite. On remarquait bien la présence intense d’agents de sécurité sur tous
les étages de l’espace, pour prévenir d’éventuelles attaques. L’affluence était
quasi normale, pour un samedi. «Je crois qu’il est temps de reprendre l’activité
tout en restant vigilants. Des semaines auparavant, je n’osais même pas mettre
les pieds au centre-ville. Mais je crois qu’actuellement, la peur commence à se
dissiper», indique Hinda.
Du côté du ministère de l’Intérieur, les attaques ont eu raison d’un état
d’alerte au plus haut niveau. Le ministère était assiégé de ses quatre côtés. La
présence des militaires et des forces de sécurité est très remarquable. Des
véhicules ont pris place des deux côtés du ministère, mais ont investi également
les ruelles y menant. Les attaques perpétrées la semaine dernière ont poussé les
autorités à accroître la vigilance.
Plus loin, à Bab Bhar, on assiste à un spectacle similaire à celui du passage.
Les commerçants ont trouvé place devant les arcades, mais sur la rue Charles de
Gaulle. La grève que les commerçants ont observée, des jours auparavant, ne
semble rien changer à l’ambiance. Dans les souks de Tunis, l’affluence n’est pas
à son comble. La reprise se fait attendre. Le souk de l’artisanat, d’habitude
plein à craquer de touristes, est trop calme. L’activité touristique qui peine
encore à redémarrer a touché de plein fouet ses commerçants. Les touristes se
comptent sur les doigts d’une seule main, bien que les boutiques soient
ouvertes. «Nous avons tenu à ouvrir nos boutiques même si la reprise n’est pas
encore au rendez-vous. Nous espérons que le retour au calme profitera à
l’activité touristique», souligne Lamjed.
Cependant, on voit maintenant des touristes d’un nouveau genre. Un touriste
français, que nous avons rencontré à la place de La Kasbah, affirme être venu
pour voir la Tunisie après la révolution. «J’ai profité de mes vacances pour
venir en Tunisie. J’y étais déjà en 1996 et 2000. Mais je crois que la
révolution du 14 janvier aura changé complètement la face de la Tunisie. Etant
enseignant et activiste, j’ai voulu assister à ce changement, parler aux gens et
connaître ce qu’il pense de l’avenir. J’ai assisté au sit-in de La Kasbah et je
crois que c’est un moment historique qui sera gravé dans la mémoire de la
Tunisie », dit-il. Une autre face de la Tunisie émerge, donc. Une Tunisie
révolutionnaire, qui attirera vraisemblablement un autre genre de touristes.
A La Kasbah aussi, les slogans gravés sur les murs du Premier ministère et du
ministère des Finances évoquent la polémique actuellement. Certains de ces
slogans ont été effacés. Les murs ont été peints de nouveau. En arrivant sur
place, nous avons rencontré un groupe de gens qui s’indignaient de cet acte.
«C’est désolant. On aurait aimé que ces slogans restent conservés pour
l’histoire. C’est honteux. Comment peut-on se permettre cela?», lance Leila.
«Je pense que c’est une erreur fatale d’effacer ses slogans qui sont un témoin
de l’histoire pour nos futurs générations», souligne Akrem qui a participé au
sit-in de La Kasbah. «Mais bon, je crois que, maintenant, il faut être optimiste
et regarder vers l’avenir. Notre pays a besoin de nous. Essayons de le
sauvegarder et de le protéger de notre mieux. La plupart de demandes ont été
satisfaites. Mais nous n’allons pas abandonner la lutte. Nous serons toujours
vigilants et attentifs à tout ce qui se passe. Espérons que le gouvernement
provisoire sera à la hauteur de nos aspirations».