La voix, malgré l’âge, était sereine, le verbe haut, les détails croustillants, l’usage du dialectal tunisien… Béji Caïd Essebsi a séduit le bon peuple dès sa première apparition…en lui servant la vieille sauce bourguibienne… Ironie du sort ou petits arrangements de l’histoire, ce sont deux vieux bourguibistes de bon ton qui vont conduire la transition de la Tunisie vers la deuxième République. Nous aurons toujours quelque chose à voir avec Bourguiba, qu’on le veuille ou non.
Mohamed Ghannouchi a été la victime, principalement, de l’absence du verbe qu’il a hérité du régime de Ben Ali que rien n’irritait tant que de s’adresser au public. Ses discours étaient écrits, bien écrits; il les répétait et il les exécutait comme un automate jusqu’au dernier moment où Hakim Karoui lui a conseillé la dernière salve avant la fuite. Et là il a parlé en arabe tunisien pour finir lamentablement.
Tout au contraire, Habib Bourguiba a été l’homme du verbe. L’homme du plaidoyer comme le bon avocat qu’il a été. En plus, Bourguiba a très vite compris que pour émouvoir il faut des sentiments, et c’est pour ça qu’il ne reculait pas devant les gesticulations, les larmes, les cris quand il le faut, et ça lui a réussi même aux pires moments. Comme par exemple le morceau de légende où il déclare, après la révolte du pain, que les prix vont revenir à ce qu’ils étaient, ou encore quand il rejoint Kadhafi à la salle du Palmarium pour lui démontrer que le développement doit précéder l’union des pays arabes…
Les personnalités politiques de l’époque bourguibienne ont toutes gardé un peu de ses manières et bien sûr beaucoup de ses principes. Ainsi en est-il de la notion de l’Etat, de l’indépendance de la décision nationale. Béji Caïd Essebsi a sorti la panoplie bourguibiste le jour de sa déclaration et nous l’a servie, et nous avons apprécié, car depuis plus de 30 ans, c’est-à-dire depuis que Bourguiba “s’est tu“ vers le début des années 80, il n’y avait plus de discours politiques en Tunisie…
Pour beaucoup de Tunisiens, la Révolution de janvier 2011 était orpheline d’un leader et du discours d’un leader, et c’est peut-être pour ça que le discours de Caïd Essebsi a fait tilt. Encore qu’il est loin de se présenter comme le leader …