La gestion des ressources humaines constitue de plus en plus un sujet polémique. Après les troubles sociaux qui ont secoué la majorité des entreprises en Tunisie, se pose la question du rôle des directeurs de ressources humaines dans le contexte actuel, une question sur laquelle s’est penchée l’Association des responsables de formation et de gestion humaine dans les entreprises (ARFORGHE) et CRIT Tunisie, en organisant, le 12 mars 2010, un “Café Ressources Humaines“.
L’ampleur des mouvements sociaux a mis en relief les lacunes dont souffre une fonction qui se situe à l’avant-garde des relations sociales dans l’entreprise. Les valeurs de démocratie et de liberté qui étaient absentes durant des décennies se trouvent au cœur d’une polémique à n’en pas finir. «Nous avons vécu des moments difficiles. Après le 14 janvier, même les sociétés qui géraient bien leurs ressources humaines ont vécu les mêmes problématiques que les autres. Cette crise a montré qu’il y a un manque flagrant de confiance. On a laissé des lacunes dans la législation, dans le code du travail, etc. Et puis il y a la question des sociétés d’intérim. On a tous accepté de collaborer avec des sociétés qui n’appliquent pas le code de travail et les conventions collectives. On a fait la sourde oreille sur les salariés», reconnaît un DRH. Un témoignage qui donne une idée sur l’ambiance tendue qui régnait au sein de certaines entreprises.
Absence de véritables DRH…
Pour un auditeur social, présent au débat, il y a très peu de véritables DRH dans les entreprises tunisiennes puisqu’une majorité travaille dans une logique de maîtriser les effectifs et non pas de gestion du personnel. «Le poids de la hiérarchie est très important. Pourtant, il y a des sociétés qui ont su gérer les conflits et n’ont connu que de petites perturbations. Elles ont su allier entre management de «persécution» et «management social», précise-t-il. Entre une centrale syndicale qui a pris de la force et une centrale patronale affaiblie, on ne trouve plus l’équilibre… le semblant d’équilibre, puisque la gestion des ressources humaines n’était point un souci majeur d’une majorité des entreprises. Le directeur des ressources humaines étant soumis aux directives et aux instructions de son supérieur. Les DRH dénoncent une UTICA qui a affiché son incapacité face à une UGTT qui, malgré ses conflits internes, est restée forte de l’extérieur.
«Il y avait toujours un déficit dans la fonction DRH qui relevait plutôt un aspect administratif. Il est temps de faire de l’autocritique et de l’autoévaluation», lance un autre DRH, affirmant que la transparence manquait dans le secteur bancaire aussi. Un autre participant affirme que, la révolution a montré que le DRH est une fonction stratégique dans l’entreprise. «Après le PDG, c’est lui qui a eu affaire au fameux “dégage“. D’ailleurs, dans notre entreprise, nous avons fait face à une grande pression, nous poussant à augmenter de 27% les salaires», ajoute-t-il.
L’exemple d’une société, opérant dans le secteur textile et habillement, est très révélateur de l’ampleur de la tension entre le personnel et la direction. La société a créé, depuis deux ans, une filiale à Hammam Zriba, dans le gouvernorat de Zaghouan. Durant les derniers troubles, les 650 employés ont observé 14 jours de grève, provoqués, selon le DRH de cette société, par le bureau régional de l’UGTT. Toutefois, il reconnaît que cette société nouvellement créée ne disposait pas de syndicat: «Il y avait une absence de communication. Le personnel s’est senti à l’écart et manifesté un refus total de toutes les dispositions de l’ancien régime tels que les conventions sectorielles et le code du travail. Ils demandent même une augmentation de 40% de leurs salaires, à l’instar d’autres sociétés qui ont été contraintes de faire cette augmentations, mais qui opèrent dans d’autres secteurs».
Stimuler le dialogue social…
Pour un autre DRH, la grève qui a été observée par la plupart des de ses employés est due à un déficit de bonne gouvernance et de l’intrusion de la politique dans les affaires de la société. «Pour la plupart des employés, on était convaincu que l’investisseur stratégique n’était pas que cela. Aucun résultat probant n’a été réalisé jusqu’à aujourd’hui. Pis encore, la société a perdu des parts de marché. L’exemple de l’opérateur marocain est très éloquent. Depuis qu’il s’est allié à Vivendi, il a acquis des licences et des marchés importants», souligne-t-il.
Il s’agit, donc, d’un manque de confiance. Des frustrations sociales, longtemps encaissées, qui ont refait surface à l’occasion de la révolution. Un responsable de l’ARFORGHE a bien voulu exposer les sept défis que les DRH devaient affronter en 2011, élaborés par Jean-Marie Peretti, chercheur français en RH. Il s’agit de développer l’engagement et l’implication du personnel, gérer les talents, accompagner le changement et la transformation, accompagner les managers, développer la diversité, insister sur le développement durable et renouer le dialogue social. Des choses, certes pas nouvelles, et qui semblent banales puisqu’il s’agit des missions essentielles d’un DRH, mais qui n’ont pratiquement pas été pratiquées auparavant. «Le vrai défi actuellement est d’accompagner le passage d’une parole interdite à une liberté responsable mais aussi de définir la façon avec laquelle doit être exercé le leadership», indique une responsable RH.
Le regain de confiance devrait évidemment passer par l’ouverture d’un dialogue social serein et d’enraciner une culture d’appartenance au sein de l’entreprise. Redéfinir le rôle du directeur des ressources humaines est le premier chantier auquel devraient s’atteler les directeurs des entreprises et les DRH eux-mêmes pour «développer l’engagement et non pas le “dégagement“!».