Natif de la Tunisie, Méditerranéen résolu, gaulliste convaincu, de tout temps farouche partisan de l’intégration économique régionale et du maillage des intérêts des deux rives de la mer intérieure, Pierre Lellouche, très proche de Jacques Chirac pendant des années, actuellement secrétaire d’Etat auprès de la ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, chargé du Commerce extérieur, était l’un des rares hommes politiques français à prononcer les phrases qu’il fallait tout de suite après le 14 janvier 2011, qui a provoqué le bouleversement de la géopolitique arabe, avec ses rapports de forces, ses luttes d’influence et à prendre la juste mesure des événements historiques dont la Tunisie était le théâtre.
Ce diplômé de l’université de Harvard, spécialiste de la géopolitique internationale, n’a pas hésité, tout de suite après la révolution tunisienne, en pleine tourmente politique et sociale, devant le galop des événements, à lancer un appel solennel aux entreprises françaises installées au pays depuis des décennies, afin de se solidariser avec le peuple tunisien aux prises avec son destin. De ne pas céder à la panique. De patienter. De s’associer au rêve. De continuer à parier sur «l’intelligence des élites d’un pays, à la veille de changements historiques».
Pierre Lellouche, qui sera bientôt en visite officielle en Tunisie, au courant de cette semaine, nous dit-on, à la tête d’une importante délégation d’hommes d’affaires français, a bien voulu répondre à quelques questions relatives à l’avenir des relations franco-tunisiennes, aux mesures d’urgence envisagées à Paris pour soutenir la démocratie naissante dans notre pays et aux repositionnements en cours des identités batailleuses, dans une région méditerranéenne en proie à une effervescence sociale sans précédent.
WMC : Alors bientôt en Tunisie?
Pierre Lellouche : Oui bien sûr. Après la visite de Madame Christine Lagarde, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, qui a réitéré l’engagement de la France en faveur des réformes en cours et de l’élan volontariste de l’Etat et des acteurs économique tunisiens vers les régions de l’intérieur. Quant à moi, je voudrais aussi, à cette occasion, prendre contact avec la réalité tunisienne, entendre les doléances des patrons français, examiner les attentes de leurs homologues tunisiens et soutenir ainsi la période transitoire dont le rôle, finalement, est de préparer le terrain à des institutions stables et démocratiques.
Quel diagnostic portez-vous sur la situation tunisienne?
Il s’agit de moments, certes très durs, puisque le tourisme est frappé actuellement de plein fouet, le chômage s’aggrave, les revendications s’amplifient, la lisibilité se fait attendre et les emplois, dans certains secteurs, sont menacés.
Mais la révolution est toujours un moment de vide, d’attentes sociales fortes et d’interactions complexes. L’histoire de la France le corrobore. Mais je connais la Tunisie et ses élites. J’ai confiance dans cet esprit de dialogue, de compromis et d’échanges, qui a toujours caractérisé ce pays. A mon avis, la voie de l’apaisement est déjà en marche. Car rien de glorieux ne se construit dans le refus. Et la France, dans ces moments fatidiques, doit répondre d’une manière politique aux aspirations du peuple tunisien, qui réclame un scrutin libre et transparent, une solidarité agissante des entreprises françaises, une plus grande implication financière de la communauté internationale et un Statut avancé dans les négociations avec l’Union européenne.
La Turquie, à travers son ministre des Affaires étrangères, était le premier pays à se manifester en Tunisie. La France était en retard…
La France, qui entend éviter les proclamations, les postures avantageuses et les bras de fer verbaux, afin de paraître patiente, tenace et méthodique, est consciente d’évoluer dans un monde très concurrentiel, travaillé par une guerre économique féroce.
Paris et l’Union européenne ont pris depuis longtemps la mesure de la puissance économique montante d’Ankara sur le plan régional. Ce qui suppose son implication dans la stabilisation de certains points chauds du pourtour méditerranéen. Cela dit, pour la France, à l’heure des grands chamboulements qui secouent actuellement l’ensemble du monde arabe, le réalisme, le pragmatisme, la mobilité, l’initiative et la ténacité s’imposent.
Quelle est votre appréciation sur le forum de Carthage tant attendu en Tunisie?
Il s’agit, tout d’abord, d’un acte de solidarité internationale avec la nouvelle Tunisie. La nouvelle démocratie. Car, pour la première fois dans l’histoire du monde, tous les peuples sont politiquement actifs, et pas seulement les Occidentaux et les grands émergents. Il faut bien sûr un certain délai d’apprentissage pour la mise en œuvre du potentiel idoine que recèle la société tunisienne dans ses tâtonnements post-révolutionnaires. Mais la France et l’Union européenne sont déterminées à accompagner le mouvement démocratique tunisien, à arrimer encore davantage le tissu industriel du pays à celui du nord et à favoriser le repositionnement stratégique des peuples de la rive sud de la Méditerranée.