«Le roi doit régner et non gouverner, un Maroc plus juste avec moins de
corruption, plus de liberté et de dignité». Les Marocains tiennent à leur
monarchie parlementaire. En tout cas, ceux qui comptent redescendre dans la rue
dimanche prochain n’en démordent pas. La position de Moulay Hicham El Alaoui
n’est pas loin des revendications de ses compatriotes: il aurait souhaité «pour
“pérenniser la monarchie”, qu’il juge “légitime et culturellement ancrée”, une
évolution vers la monarchie constitutionnelle de type espagnole ou britannique».
Moulay Hicham El Alaoui, cousin du Roi, chercheur à l’Université américaine de
Stanford, et surnommé le prince rebelle, estime légitimes et indispensables les
réformes politiques dans son pays.
Le
Roi Mohamed VI aurait pourtant voulu anticiper les attentes du peuple en
promettant dans son discours prononcé mercredi 9 mars plus de démocratie, plus
de justice, de pluralisme et de transparence, un gouvernement élu par la volonté
du peuple exprimée à travers les urnes ainsi qu’une régionalisation avancée, une
révision de la Constitution et plus de pouvoir au Premier ministre.
Le Roi avait, à l’occasion du discours, insisté sur la nécessité de mettre fin
aux inégalités et aux déséquilibres régionaux par des politiques de
développement appropriées et par une participation plus importante des
représentants régionaux à travers des élections «au suffrage universel direct,
et la gestion démocratique des affaires de la région». Une plus grande autonomie
accordée aux régions qui seront désormais gérées par des présidents de conseils
régionaux -à la française. Ils prendront les décisions adéquates tant sur les
plans économique, financier ou celle relative à l’aménagement du territoire. Les
régions seront désormais mieux représentées au niveau de la Chambres des
Conseillers.
Le Roi promet également une présence plus accrue des femmes dans les sphères
publiques et régionales pour plus de parité ainsi que «la consécration
constitutionnelle de la pluralité de l’identité marocaine unie et riche de la
diversité de ses affluents, et au cœur de laquelle figure l’amazighité».
Un timing dicté par un contexte régional révolutionnaire
Certains observateurs politiques estiment le timing choisi par le monarque
marocain, pour prononcer son discours, est dicté par deux impératifs:
-au niveau de la politique interne, contenir les mouvements de contestations
populaire «enflammés» par les révolutions tunisienne et égyptienne et éviter
tout risque de dérapage en provenance des régions dans un pays de 33 millions
d’habitants à forte composition communautaire;
-au niveau des relations extérieures, rassurer les partenaires européens et
américains quant à la paix sociale au
Maroc et la solidité de ses orientations
démocratiques.
Le Royaume, qui jouit du
Statut avancé
avec l’Europe et qui a signé depuis
quelques années un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, tient à garder
sa position privilégiée sur les deux continents et sauvegarder ses acquis, sur
le plan économique en premier lieu.
Cette «douce révolte» sur un ordre établi depuis le grand-père du Roi,
«Commandeur des Croyants» ne se fera pas aussi facilement qu’on peut bien
l’imaginer sur terrain, estime Jamal Belahrach, country manager de Manpower
International en Afrique et Territoire d’Outre mer, brillant activiste de la
société civile. «Le Roi Mohamed VI est dans la continuité, il est dans son
projet personnel. Un projet sociétal prospère et plus équitable». Ce qui
inquiète M. Belahrach, c’est plutôt la maturité politique des partis
d’opposition. «Les partis marocains sont-ils prêts à assurer et assumer leurs
rôles, ont-ils des projets sociaux? Ont-ils un corpus idéologique, pourront-ils
réussir leur mue au niveau des orientations économiques. J’estime que le Roi les
a mis au devant de leurs responsabilités. Il faut qu’ils arrivent à mettre en
place et aussi rapidement que possible des modèles économique et sociétal
adaptés à la réalité marocaine en prenant en compte ses spécificités régionales
et le nombre de plus en plus croissant des compétences».
Tout dépendra donc de la capacité de l’exécution du programme royal dans les
temps et surtout de l’efficacité des solutions qui seront apportées aux
déséquilibres régionaux et à des maux tels les déficits sociaux et le chômage.
«La révolution tunisienne a été l’œuvre de jeunes qui voulaient la dignité, le
travail, c’est la dignité».
Affirmer la pérennité du modèle monarchique et la légitimité du Roi
«Lorsque le Roi s’est présenté pour prononcer son discours, il était accompagné
de son frère et de son fils, une manière de dire, “la Monarchie est là, elle le
restera, sa légitimité n’est nullement mise en cause“», a observé Rachid Alaoui,
journaliste politique franco-marocain.
La monarchie culturellement ancrée dans la société marocaine pourrait-elle,
grâce aux réformes préconisées par le Roi, faire du Marocain un citoyen et non
un sujet? Pourrait-elle muer vers un modèle plus participatif et moins
sacralisant pour le Prince des Croyants, la famille royale et la cour? Les
modèles britannique, espagnol et, plus proche de nous, koweïtien ont montré que
personne n’est épargné dès lors qu’il s’agit des intérêts supérieurs de la
nation. Ces modèles pourraient-ils trouver acheteurs dans la Monarchie
marocaine?
Le discours du Roi a touché les composantes politique et économique, il s’est
voulu rassurant pour les investisseurs directs étrangers et pour le secteur
touristique. «Car c’est par le développement économique qu’on réalise la justice
sociale, d’où l’impératif de préserver l’économie», explique M. Alaoui. Les
nouvelles visions exprimées dans le discours royal visent le maintien de la
cohésion sociale dans un pays où il n’existe pas suffisamment de ressources, où
il y a des déséquilibres régionaux notables et où le taux d’analphabétisme reste
relativement important.
Le Roi a-t-il voulu faire du marketing politique, créer un écran de fumée en
direction des partenaires internationaux ou a-t-il exprimé une réelle volonté
d’assurer la transition démocratique?
La répression toute récente de la manifestation pour des réformes organisée à
Casablanca, trois jours seulement après le discours du Roi, fait tâche dans les
prétendues orientations démocratiques du Royaume.
Lors des manifestations du dimanche 20 février, 300.000 Marocains sont descendus
dans la rue; un appel a été lancé pour une manifestation d’envergure dimanche
prochain (20 mars). Doit-on s’attendre à plus de manifestants et moins de
répression?