Les déplacements ministériels du gouvernement français en Tunisie se succèdent.
A un rythme accéléré. C’est le verdict de l’histoire. De la géographie. Et de la
géopolitique. Après
Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, c’est Frédéric
Lefebvre, Secrétaire d’Etat, auprès de la ministre de l’Economie, des Finances et
de l’Industrie, chargé du tourisme, qui vient de poser les pieds sur notre sol,
début du mois de mars 2011, en compagnie des présidents des organisations
professionnelles des tour-opérateurs et des
agences de voyages, afin de
réaffirmer l’engagement de la France en faveur des réformes en cours après la
révolution, de renforcer les échanges et la coopération entre les deux pays sur
les questions de l’apprentissage en matière de développement de l’artisanat, de
promotion du savoir-faire des artisans et de passer en revue, avec M. Mehdi
Houas, son homologue tunisien, les moyens à même de soutenir et de redresser
rapidement le secteur touristique à l’approche de la saison estivale, dont le
bon déroulement est intimement lié à la pérennité de 400.000 emplois directs et
indirects.
De retour à Paris, il n’a pas hésité à nous accorder une audience et à nous
communiquer ses premières impressions après une visite dans un pays en pleine
recomposition politique et sociale. «Quand des hommes se battent pour leur
liberté, quand ils risquent leur vie au nom d’un idéal, on leur doit le
respect», déclare notre interlocuteur.
Au fait, M. Frédéric Lefebvre, bête noire de la gauche française et du PS en
particulier, connu par son franc-parler dans le microcosme parisien et dont
l’essentiel de la carrière politique s’est déroulé dans le sillage du président
Sarkozy, a toujours préféré, nous dit-on, le dialogue viril aux ronds de jambe
hypocrites. Avec lui, au moindre incident, les quolibets, les injures, les
diatribes, les claquements de pupitres fusent. On peut s’accorder ou se
désaccorder sur son style, mais c’est un personnage qui ne dissimule rien,
affirment ses adversaires politiques.
En dépit d’une réputation d’un dur de l’UMP, faisant partie de la crème d’une droite pur jus, nous
découvrons, tout au long de l’entrevue, un homme politique drôle, capable de
profondeur, maniant au plus haut degré l’art des grands épéistes. De la
synthèse. Il a du souffle, des lettres et un sens inné de la polémique. Avec un
comportement d’un tentateur, cherchant à créer des complicités, sans craindre de
recourir à des compliments hyperboliques. Voici un plaideur inspiré, ardent,
dont le propos trahit une efficacité de soldat.
Webmanagercenter : Quelles impressions avez-vous gardé de votre visite en
Tunisie?
Frédéric Lefebvre: Je garde le souvenir d’un peuple inventeur de sa propre
espérance, lanceur d’alertes, fier, idéaliste, digne, rebelle, romanesque,
pionnier, passeur de démocratie, marqué au fer par l’épreuve de la délivrance,
qui vient de lancer la grande vague du printemps arabe. Du cycle des grands
changements. Des peuples aux prises avec leur destin. Pour se dégager de la
gangue des dictatures. Quoi de plus passionnant pour un homme politique que de
visiter un pays libre, de tempérament universaliste, animé de nouvelles valeurs,
serviteur des événements de la région, qui entend désormais faire partie des mondialisateurs et non pas des mondialisés.
Je n’oublierai jamais tous ces visages illuminés par la fierté du devoir
accompli. Ce pilote de
TunisAir éblouissant d’intelligence. Ces journalistes
titubant de liberté. Ces jeunes apprenants du Centre de formation aux métiers de
l’hôtellerie d’Hammamet, dont l’enthousiasme et la rigueur, pendant le service
du déjeuner, étaient un motif de satisfaction et de ravissement pour mon
sympathique et dynamique homologue
Mehdi Houas, qui a abandonné ses affaires en
France pour agir dans son pays dans ces moments historiques.
Certains remettent en cause le choix du tourisme en Tunisie en raison de la
fragilité du secteur. Les derniers événements l’ont prouvé. Qu’en pensez-vous?
Je pense plutôt que le secteur est une chance pour la Tunisie, qui a réussi,
depuis l’indépendance, à en faire un outil de mise en valeur de la culture
millénaire du pays, de son patrimoine archéologique, de ses traditions
culinaires, de ses paysages féeriques, de ses immensités désertiques et de ses
plages exotiques. D’ailleurs, la France entend, dans cette période transitoire
et cruciale pour la Tunisie, illustrer, avec les nouvelles autorités du pays,
les chantiers d’avenir liés à l’activité touristique, renverser la tendance à
l’alourdissement du secteur, relancer la formation, porteuse des emplois de
demain, favoriser la conversion écologique et aider les hôteliers tunisiens à
profiter des aspects créateurs de la mondialisation dans le domaine des loisirs
et du divertissement.
Au fait, je suis optimiste. Mon diagnostic demeure le même en temps de crise.
Qui est à mon avis passagère. Liée aux spasmes postrévolutionnaires. Car lors de
ma visite au Centre de formation aux métiers de l’hôtellerie d’Hammamet, financé
par l’Agence française de développement (AFD), j’ai rencontré une génération de
jeunes tunisiens attachés à leur école, aux infrastructures touristiques du
pays, aux opportunités de demain, aux échanges avec l’Europe, aux liens qui
unissent la Tunisie, depuis Carthage, Rome… et la civilisation arabo-musulmane,
au grand large. A la Méditerranée. Aux horizons lointains. A la globalisation.
Aux sources du savoir.
Quel regard portez-vous sur l’avenir des relations franco-tunisiennes?
Je suis très confiant dans l’avenir de ces relations. Car l’amitié entre le
peuple tunisien et le peuple français est profonde, forgée au fil du temps. Des
épreuves. Des convergences historiques. Après le 14 janvier 2011, qui a permis
aux Tunisiens et aux Tunisiennes d’ouvrir les fenêtres, de faire voler la
poussière et d’entreprendre le grand ménage, beaucoup de mes compatriotes ont
hâte de mieux connaître ce peuple si souvent caricaturé par le passé, de rompre
avec les anciennes postures, de construire de nouvelles alliances économiques et
culturelles, de comprendre les ressorts d’une identité batailleuse, d’un
tempérament universaliste, qui ont permis l’écriture de pages glorieuses dans
les livres d’histoire.