Le secteur industriel tunisien est encore sous surveillance. Dans cette période transitoire par laquelle passe la Tunisie, les investisseurs temporisent et les entreprises attendent le rétablissement de la sécurité et de la stabilité politique et sociale. C’est le cas par exemple du secteur cuir et chaussures qui a été fortement touché par ce climat, ayant provoqué une baisse des exportations au mois de janvier 2011. La situation semble revenir à la normale même si les craintes persistent.
Ces craintes concernent notamment la haute saison (avril-août) durant laquelle les industriels préparent les collections d’hiver. Mais les commandes tardent à venir. Car aux perturbations sécuritaires et les troubles sociaux viennent s’ajouter maintenant les événements en Libye, ce qui inquiète bien évidemment les donneurs d’ordre européens. «Il y a un amalgame avec ce qui se passe en Libye. Les donneurs d’ordre sont réticents et hésitants. On essaye de leur faire comprendre que ces événements n’ont aucun effet sur nous. Ce qu’on redoute est une chute de 20%. C’est notre marge qui est désormais menacée», lance Lassaad Slama, membre de la Fédération nationale du cuir et des chaussures.
Une reprise prudente…
Entre temps, les responsables du secteur essayent de rassurer les clients. Une délégation vient de participer à la foire de Milan (du 3 au 6 mars 2011) et a observé que le secteur, qui constate, malgré tout, une certaine reprise dans le secteur. Une bonne nouvelle pour les entreprises tunisiennes qui pourront redémarrer leurs activités, tout en rassurant leurs clients sur le rétablissement de la situation dans le pays.
A noter que la filière cuir compte 430 entreprises employant 35 mille personnes. Les entreprises exportatrices, au nombre de 230, produisent quelque 20 millions de pairs par an et emploient 22 mille personnes.
Sur le marché local, la situation n’est pas moins tendue, mais on sent s’amorcer la reprise, bien que molle actuellement. Un optimisme mesuré est perceptible, en attendant de voir plus clair concernant l’avenir politique du pays.
Les événements en Libye ont également affecté l’activité locale dans le secteur. Mais il semble que les Algériens aient pris la relève. Il s’agit également du rétablissement de la sécurité puisque personne n’ose investir pour le moment.
Selon Akrem Belhaj, vice-président de la Fédération nationale du cuir et des chaussures, le marché parallèle reste encore un souci pour les artisans: «Il y a un point d’interrogation sur les conteneurs qui ont été libérés. On demande un contrôle plus sévère des produits qui entrent légalement en Tunisie à cause de certaines matières toxiques… Comme industriels, nos matières doivent répondre à des normes précises et à la législation. Ceci doit être également appliqué aux produits importés de façon légale, tout en faisant face à l’importation illégale».
Révision du code du travail…
Concernant les grèves qui ont touché le secteur, on met surtout en cause les surenchères qui ont été provoquées dans certaines grandes entreprises, par les syndicats de base. Des arrêts de 10 à 15 jours ont été observés. Ils ont été traités au cas par cas. Selon M. Slama, le secteur est majoritairement composé de moyennes entreprises qui sont dirigées de façon paternaliste et où le dialogue social a été instauré. Ce qui diffère des grandes entreprises qui comptent de structures syndicales.
Quant aux entreprises étrangères, il nous affirme qu’elles ont trouvé l’équilibre, ayant fait des concessions pour assurer la continuité du travail.
Les professionnels regrettent la faiblesse de la centrale patronale (UTICA) devant l’UGTT laquelle semble avoir pris du pouvoir alors que la priorité devrait être accordée à la concertation entre tous les partenaires sociaux. «Je pense que le moment n’est pas opportun pour les négociations sociales. A l’UTICA, on commence à tracer la ligne même si le climat n’est pas encore serein, on risque de ne plus retrouver l’équilibre. Actuellement, il faut traiter au cas par cas, chercher à tranquilliser et à redémarrer l’activité. Il y a un bon climat social dans plusieurs entreprises. Mais il faut identifier celles qui ne respectent pas le code du travail, qui doit être, d’ailleurs, discuté puisqu’il ne répond plus aux attentes des employés qui sont les premiers partenaires des entreprises», affirme M. Slama.
Pour M. Belhaj, la reprise ne se fera qu’avec le rétablissement de la stabilité politique et sécuritaire. «Il y a un grand intérêt à investir mais il y a plusieurs blocages. L’UGTT a faussé le jeu alors qu’elle doit être partenaire de l’Etat et de l’UTICA dans le rétablissement de la stabilité sociale et non intervenir dans la politique». Les soucis concernent également la période transitoire. «Il faut avoir un gouvernement fort. La relève doit être bien assurée», poursuit le responsable de la fédération.
Création de milliers d’emplois…
D’un autre côté, on table sur de bonnes perspectives pour le secteur au cas où toutes ces conditions seraient réunies. Déjà, depuis décembre 2010, la Fédération nationale du cuir et chaussures a préparé un schéma d’investissement visant à développer l’activité dans les régions intérieures, lequel prévoit l’installation de zones industrielles de production de la chaussure. «Généralement, notre activité se développe essentiellement sur la côte Bizerte, le Grand Tunis, le Cap Bon et Sfax, étant donné que la chaussure ne demande pas de la technologie. Il existe à Boussalem, dans le gouvernorat de Jendouba, un centre de formation qui pourra être mis en valeur en implantant des pôles de la chaussure dans plusieurs délégations du nord-ouest, surtout que trois à quatre mois sont suffisants pour former un employé opérationnel dans le secteur», affirme M. Slama.
La réalisation de ce schéma aura l’avantage de créer plusieurs emplois. En trois ou quatre ans, 3.000 à 5.000 postes d’emplois pourraient être créés. Ajoutons à cela une volonté des industriels du secteur à parrainer des jeunes diplômés pour la création de leurs propres entreprises. Ce schéma a été déjà présenté, en février 2011, à Afif Chelbi, alors ministre de l’Industrie et de la Technologie. La Fédération compte le relancer avec le nouveau ministre, AbdelAziz Rassaâ.
Que ce soit sur le marché de l’export ou sur le marché local, la reprise effective du secteur est tributaire du rétablissement du climat social et politique. Les avantages du site Tunisie au niveau de l’activité manufacturière sont multiples concernant les coûts de production, la rapidité d’exécution, la proximité géographique, la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée et compétitive. «Nous sommes confiants que nous allons rester les fournisseurs de l’Europe. Ils ont besoin de nous, surtout dans les moyennes quantités», assure M. Slama.
L’optimisme des responsables du secteur est un signe de confiance en l’avenir. Espérons qu’il soit meilleur…