Les marchands du tapis vivent des moments difficiles. «Et si les touristes ne commencent pas à affluer à partir du mois prochain, il est fort à parier que l’année sera pour nous autres marchands de tapis des plus difficiles», s’inquiète l’un d’entre eux.
Mille cinq-cents dinars. Voilà , en tout et pour tout, le volume des ventes du magasin de tapis que tient Adnane, à proximité de la grande Mosquée de Kairouan, depuis le 10 janvier 2011, date de sa dernière transaction.
Barbe fournie, jean et veste en cuir, Adnane assure n’avoir jamais vécu cela. «Certes, nous sommes en basse saison. Le commerce du tapis suit celui du tourisme. Mais gagner mille cinq-cents dinars en trois mois… C’est inimaginable», souligne-t-il.
Du matin au soir, il scrute le touriste qui n’arrive pas. «Je rencontre tous les jours les nombreux “Business“ (terme utilisé pour appeler les quelques personnes qui accostent les guides et accompagnateurs des groupes venus en bus pour les diriger, contre commission, vers son magasin) dans un café non loin de la Mosquée d’Okba Ibn Nafaa. Tous respirent «la guigne» et me demandent une petite somme d’argent ou de leur payer un café ou un paquet de cigarette».
Pour l’heure, Adnane est accroché à un espoir. Celui de voir les choses reprendre leur court habituel. «J’arrive encore à tenir le coup. J’ai d’ailleurs payé les salaires de mes deux employés et leurs cotisations. Je me suis encore acquitté de mes impôts ainsi que du principal et des intérêts d’un crédit contracté auprès d’une banque», ajoute-t-il. «Mais jusqu’à quand?», s’interroge-t-il.
Même son de cloche du côté des nombreux commerçants d’artisanat situés tout le long de la grande rue qui va de Bab El Jelladine à Bab Tounes, deux grandes portes de la ville. Dans de nombreuses échoppes de cette artère, on ne cesse de vous raconter comment la quasi absence de touristes a perturbé la vie des artisanes qui, dans la région, fabriquent le tapis. Certes, ces dernières continuent à travailler chez elles, mais le commerce du tapis n’est plus ce qu’il était.
Le grand couloir qui tient lieu de souk du tapis, situé du reste à deux-cents mètres de Bab Jelladine, ne connaît plus son animation d’antan. «Craignant des temps, les acheteurs se font rares. Et le souk n’attire quasiment plus que les prédateurs», commente Massaoud, un commerçant installé non loin du Bir Barouta, une des attractions touristiques de la ville.
«Un moment de propagande»
La quarantaine, tablier blanc et mine triste, Sahbi n’a pas vu un touriste depuis une semaine. Son petit restaurant est ouvert, mais il ne fonctionne pas bien. Il a, certes, fait sortir ses quatre tables et seize chaises dehors, mais les clients étrangers ne se bousculent pas.
«De toute manière, les choses ont chant depuis que la place Jelladine a été totalement “défigurée“ en 2009, à l’occasion de la célébration de l’événement, par le régime de Ben Ali, de “Kairouan, ville de la culture islamique“. Un moment de propagande qui a nui à la ville plus qu’autre chose», souligne notre restaurateur. Une place bétonnée a remplacé le grand parking d’antan qui recevait les bus pleins de touristes et autres 4 × 4 qui venaient se déverser dans la médina.
Au café Taktak, les nombreux Kairouanais, qui ont pris place sur les trottoirs situés en face de Bab Jelladine, principale artère de la ville, font et défont, en ce mardi 22 mars 2011, le monde devant le traditionnel café filtre, un café bouilli qu’affectionnent particulièrement les clients de ce café. Ils évoquent les récents événements en Libye. Mais les discussions finissent toujours par glisser sur des sujets qui ont trait à la vie de la ville.
Notre marchand de tapis, Adnane, qui a abandonné son magasin de tapis pour un temps, en vue de retrouver un parent, évoque avec ce dernier «le manque de visibilité qui caractérise la période actuelle». Comme quoi, cela dit en passant, qu’on n’a pas besoin d’avoir fréquenté les bancs de l’université pour avoir faire des analyses politiques parfois pertinentes.
«Evidemment, l’espoir est toujours permis, mais nous sommes dans l’opacité la plus totale. D’ailleurs, si les touristes ne commencent pas à affluer de nouveau à partir du mois prochain, il est fort à parier que l’année sera pour nous autres marchands de tapis des plus difficiles. Et lorsque je vois le comportement des acteurs de la vie politique chez nous, qui ne veulent s’entendre sur rien, ou encore les chaînes satellitaires qui nous abreuvent de bombardements sur Bengazi, Misrata et Al Burayqah, ce sont des idées noires, qui remplissent ma tête; et pas autre chose», insiste-t-il.
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