Les mendiants ont massivement fait leur apparition dans les grands carrefours de
Tunis. Un
commerce qui se fait sous nos yeux. Reportage.
Trois, quatre, cinq, six, sept, huit,… On ne peut compter, en empruntant la
route X, en direction de l’Aéroport Tunis-Carthage, le nombre de mendiants qui
vous accostent au moindre feu rouge. Même spectacle tout le long de la grande
route qui mène du carrefour situé au niveau d’El Menzah1, face au bâtiment
abritant la Pharmacie centrale de Tunisie jusqu’au quartier El Nasr.
Ils appartiennent à tous les âges. Certains ont investi la rue depuis bien avant
le 14 janvier 2011. Ainsi en est-il de ce mendiant manchot, la trentaine, qui
expose aux yeux des automobilistes son handicap. Ces derniers ont, en effet,
depuis bien longtemps, pris le pli de le voir braver le froid et le soleil pour
les supplier de lui remettre quelques pièces de monnaies.
Mais il y en a d’autres. Ismaïel, 12 ans, cheveux gris et mine triste est au
rendez-vous du carrefour qui fait face aux UV4 d’El Menzah VI depuis un peu plus
d’un mois. Sa mère, la quarantaine, pieds nus, robe longue et foulard gris, se
tient de l’autre côté du trottoir harcelant les chauffeurs en tenant dans ses
mains un bambin de seulement quelques mois. Qui éternue sans relâche.
Ismaïel ne nous vous cache pas son cinéma: sa mère et lui-même arrivent tous les
jours entre 9 et 10 heures pour mendier. Ils rentrent le soir vers 17 heures.
Avec une petite cagnotte. Son père récupère le butin à leur arrivée. Et gare à
eux si la somme n’est pas au niveau de ses attentes. Ils seront punis.
Hurlements, insultes et quelquefois coups, Ismaïel et sa mère n’y échappent que
rarement.
C’est entre 5 et 10 dinars la journée
Combien doivent-ils ramener à la maison chaque jour? «Cela dépend des jours. En
semaine nous ne pouvons pas faire comme le week-end. En début de mois, nous
devons faire plus», répond, évasif, Ismaïel, qui nous quitte très vite pour ne
pas perdre de temps dans des palabres.
Quant au bébé qui ne ressemble en rien à sa mère, là aussi la mécanique est
connue, affirme un motocycliste: «Je sais où est-ce qu’on peut louer un bébé.
C’est entre 5 et 10 dinars la journée, voire plus si l’enfant fait bien pitié».
Et notre motocycliste de nous raconter une histoire qu’il affirme avoir
personnellement vécu, il y a quelques années. «Un ami, qui gagnait sa vie en
travaillant dans la cafétéria d’un atelier de confection, à Tunis, avait
l’habitude de confier son bébé de trois mois à une vielle dame dans un quartier
à la périphérie de la ville», confie-t-il.
«Alerté par un collègue, qui était aussi son voisin, sur le fait qu’une
mendiante faisait tous les jours commerce son bébé à la main, il a cru d’abord à
une plaisanterie. Mais que ne fut sa surprise lorsqu’il découvre que la
plaisanterie c’était bien du vrai», ajoute-t-il.
«La femme a reconnu les faits. Mais affirmait bien faire. Puisqu’elle
s’absentait souvent pour emmener son fils à l’hôpital et qu’il lui arrivait de
confier les enfants dont elle avait la garde à une voisine. Et qu’elle ne savait
ce que cette dernière pouvait en faire en son absence», conclut-il.
Un autre commerce du même genre a réapparu depuis quelques jours aux principaux
carrefours des quartiers résidentiels. Ali le pratique du matin au soir.
Casquette, jean et chemise en coton. Il fait mine de vous essuyer avec un
chiffon le pare-brise de votre voiture. Evidement le chiffon, souvent sale,
n’améliore pas la situation du pare-brise. «Bien au contraire, il y déverse un
peu plus de poussière», constate une automobiliste rencontrée à un carrefour
d’El Manar. Mais le commerce rapporte: jusqu’à 15 dinars par jour, note Ali qui
soutient, toutefois, «que les temps sont quand même durs».
«Même si, aujourd’hui, personne ne nous embête. Les policiers ont d’autres chats
à fouetter», ajoute-t-il.