Ancien
rédacteur en chef de la revue Réalités (langue arabe), Lotfi Hajji a été
sollicité en 2004 par la Chaîne
Al Jazeera qui en a fait le directeur de son
bureau de Tunis, un bureau officiellement interdit jusqu’au 13 janvier dernier.
WMC: Comment travailliez-vous avant le 14 janvier?
Dans des conditions plutôt pénibles. Notre Bureau étant interdit, j’assumais le
rôle de correspondant de la Chaîne en assurant les informations par Internet, et
les commentaires par téléphone, mais j’assurais surtout la coordination entre
les invités et la Chaîne. Les autorités tunisiennes m’ayant régulièrement refusé
l’accréditation nécessaire, elles ont donc tenté à plusieurs reprises de
m’empêcher de m’acquitter de ce travail. Par exemple, j’étais souvent convoqué
par la police en vue de signer un document m’engageant à ne plus envoyer
d’informations liées à la Tunisie. Mais j’ai continué malgré tout sur ma lancée
car j’estime qu’il est de mon droit d’exercer le travail de journaliste quel
qu’en soit le prix.
Vous étiez gênant aux yeux des pouvoirs publics?
Ce n’est pas tant ma personne qui gênait, mais la Chaîne bien évidemment. Les
autorités tunisiennes avaient continuellement peur d’une information juste,
réelle; par conséquent, elles pesaient de tout leur poids pour entraver le
travail de tout média porté essentiellement sur les infos, et quitte à recourir
à la répression, sinon la violence.
Quel est aujourd’hui le rôle du Bureau de Tunis?
Il n’a rien d’exceptionnel par rapport aux autres médias. Nous assurons la
couverture médiatique des principaux événements pouvant intéresser le Tunisien,
nous tâchons d’être le plus près possible de ses préoccupations et d’apporter
une réponse claire et transparente à ses interrogations d’ordre politique ou
autre. Surtout, nous faisons en sorte que la Chaîne soit une tribune ouverte à
toutes les tendances, toutes les sensibilités, sans exclusion aucune.
Depuis le début de la Révolution tunisienne, l’on a constaté un engouement sans
précédent des Tunisiens pour la Chaîne…
Révolution oblige, c’est sûr. Mais même par le passé, l’audimat a toujours été
assez important. C’est-à-dire qu’on savait qu’il y avait une attente de la part
des Tunisiens et on faisait de notre mieux pour répondre à cette attente.
Dès qu’il s’agit de l’Afrique, du monde arabe ou du Maghreb, Al Jazeera semble
s’acharner sur leurs dirigeants. Beaucoup pensent que la Chaîne a joué un
certain rôle dans la chute des régimes tunisien et égyptien…
Ecoutez, notre rôle ne consiste pas à ménager les uns ni à nous acharner sur les
autres. S’il nous arrive d’adopter un ton par trop sérieux, c’est tout
simplement parce que nous ne pouvons pas traiter des questions politiques
arabes, maghrébines ou africaines avec superficialité. Nous donnons aux
événements l’importance qu’ils méritent, sans plus. Nous sommes tenus de
diffuser une information qui traduise la réalité des choses, là commence et
prend fin notre travail. Cela étant, il est vrai qu’Al Jazeera dénonce à cor et
à cri toute forme d’injustice, d’oppression, de dictature…
Mais pourtant, on ne voit pas Al Jazeera s’immiscer dans les affaires des
monarchies du Golfe ou autres…
Vous devriez poser cette question au premier responsable de la Chaîne; mon champ
d’action, à moi, c’est la Tunisie.
Comment s’en sort la Chaîne en Libye?
Plutôt mal! Nous avons perdu un cameraman en la personne de Ali Al Jaber, un
Qatari, amené malicieusement et tué dans un guet-apens dans la banlieue de
Benghazi.
Et donc, depuis le 14 janvier dernier, vous êtes devenu la vedette d’Al
Jazeera en Tunisie?
(Rires) C’est loin d’être le cas. Vous savez, beaucoup s’imaginent que la Chaîne
est également tenue de résoudre tous les problèmes des Tunisiens. Là où je donne
de la tête, l’on me demande d’intervenir dans tel ou tel cas, tel ou tel
problème. Je les comprends parfaitement, sauf qu’il se trouve qu’on me demande
de faire des choses qui ne sont nullement du ressort du journaliste. Mais
j’apprécie, en filigrane, le crédit qu’on fait à Al Jazeera.