Les fondamentaux économiques de la Tunisie sont les suivants aujourd’hui : depuis le début de l’année, 12,5 milliards de réserve de change, ce qui nous autorise 5 mois d’importations, et qui représentent une marge très importante pour ce qui est des réserves de change, une dette extérieure de près de 37% et une dette publique de 40%. Dans certains pays, la dette publique dépasse les 100%.
Les conditions initiales dans notre pays seraient donc favorables. Ces performances ont été le résultat des réformes économiques réalisées ces dernières années, et ceci doit être mentionné et reconnu, assure Abdelhamid Triki, ministre de la Planification et de la Coopération internationale. Ces réformes ont été imposées par les instances internationales mais aussi dictées par la dernière crise financière et économique.
La situation économique de l’après-révolution est-elle catastrophique?
Le point avec Abdlhamid Triki.
WMC: Qu’en est-il des perspectives de l’économie tunisienne pour les prochains mois?
Abdlhamid Triki: Les perspectives sont très favorables à moyen terme, même si, suite à la révolution, les imprévus sécuritaires, les revendications sociales, quoique légitimes, généralisées à l’ensemble des secteurs, ont rendu la tâche du gouvernement quelque peu difficile. Il y a un ensemble d’équilibres à réaliser durant cette transition. Il est évident que celle-ci n’est pas dépourvue de difficultés pour l’économie.
La sécurité affecte le secteur touristique très sensible à cette composante. Le secteur touristique représente 5% du PIB, mais contrairement aux autres secteurs, ses recettes en devises revêtent une importance de taille pour les équilibres externes. Alors que dans le secteur manufacturier, nous pouvons exporter pour 100 $ et importer pour 85 $ et si nous réduisons les exportations, nous réduisons les importations, dans le tourisme il n y a que des rentrées en devise, le contenu importation est faible. Pour cette année, nous avons déjà enregistré 40% de baisse que nous garderons éventuellement pour la haute saison. 40% de recettes, c’est 1 milliard 800 millions de dinars en devises.
Le secteur touristique emploi également 400.000 personnes, 40% de moins de touristes, c’est 160.000 emplois qui viennent s’ajouter à la demande additionnelle d’emplois.
Pour le secteur des biens, l’impact de la conjoncture n’est pas aussi sérieux que celui du tourisme.
L’investissement privé vivra également un certain attentisme dans les prochains mois, le temps que la situation du pays se clarifie et qu’il y ait plus de visibilité, ceci sur le plan national. Ce qui arrive en Libye aggrave la situation de l’économie dans notre pays. Car 11% de nos exportations se font sur ce pays et 10% de nos recettes touristiques se font avec lui. Certaines activités sont liées au déplacement de personnes entre nos deux pays.
De ce fait, si rien n’est entrepris, la Tunisie ne pourra pas réaliser plus de 1% de croissance cette année, ce qui se traduit sur le terrain par 20.000 emplois uniquement sans parler de la demande additionnelle annuelle de 80.000 jeunes diplômés.
Des pertes d’emplois dans le secteur touristique, le retour de la main-d’œuvre tunisienne de Libye ajoutés aux personnes vivant d’ores et déjà une condition d’inemploi, risquent d’aggraver la situation.
Que comptez-vous entreprendre justement pour faire avancer les choses?
Il est évident que nous ne comptons pas subir. Nous ambitionnons, grâce à des actions urgentes, de réaliser un minimum de 2,5 à 3% de croissance, ce qui est nécessaire pour la création de postes d’emplois. Nous sommes en train d’avancer sur le plan de relance qui tient compte des priorités de l’économie et du pays.
Le point de départ de la révolution étant un malaise social dû aux inégalités et aux déséquilibres régionaux, au chômage des jeunes et à l’inégalité des chances, nous comptons lancer des actions sociales immédiates et améliorer les conditions de vie dans les régions défavorisées en les dotant d’infrastructures de bases et de commodités préalables à tout développement économique. Tels le logement, l’électricité, l’eau potable, les infrastructures de base sanitaires et routières, ce qui est également de nature à créer des emplois.
Nous sommes également décidés à accélérer la création de projets et de mini-projets, des PME pour créer des emplois pour les diplômés et autres. Les mécanismes de financement telle la micro-finance seront mis à la disposition de ceux qui veulent créer leurs propres projets.
En situation de crise, l’Etat a toujours une grande responsabilité en matière d’investissements comme le fait d’avancer la réalisation des gros projets…
C’est ce que nous comptons faire justement. Nous comptons lancer les grands chantiers. D’ores et déjà, il y a les projets prévus dans le budget de l’Etat de cette année qui ont subi du retard suite à la révolution. La première action est de rattraper le retard ; l’idée est également de revoir les priorités pour investir davantage dans les secteurs prioritaires dans les régions. Nous allons aussi augmenter les investissements rendus maintenant nécessaires dans le contexte actuel pour rassurer les privés et réunir les conditions de réalisation du minimum de croissance dont j’ai parlé plus haut. Ce sont des zones industrielles, des routes, des pistes rurales dont les travaux doivent être démarrés au plus tôt.
Qu’en est-il des investissements privés?
Pour ce qui est de l’investissement privé, nous voulons qu’il y ait création de projets dans les zones industrielles. Pour ce, nous serons pragmatiques et nous n’attendrons pas des décisions politiques qui tarderont à venir. Nous travaillerons avec des entreprises nationales qui veulent participer dans cette phase délicate au développement de leur pays et nous accorderons les facilités nécessaires, les avantages et les incitations à titre exceptionnel pour cette phase de l’histoire de notre pays aux entreprises aussi bien nationales qu’étrangères prêtes à investir dans les régions et les zones prioritaires. Ces mesures seront accompagnées d’autres visant à préserver les emplois actuels en aidant les entreprises dans le cadre du décret-loi pour le soutien des entreprises et la mise en place de mécanismes comme celui d’Amal pour préparer les jeunes à l’emploi ainsi que le lancement de programmes de formation.
La relance de l’économie ne passe-t-elle pas par l’incitation à la consommation?
Le programme de relance pour cette année, c’est essentiellement la demande intérieure et la consommation. Les actions sociales, l’emploi, les programmes d’aide à l’emploi se traduiront par la hausse de la consommation. Nous comptons encourager les exportations parallèlement à l’encouragement de la consommation des ménages. La consommation jouera cette année un rôle très important. Nous avons le souci d’un meilleur équilibre entre les régions et un meilleur équilibre entre les différentes couches sociales, ce qui se traduira au niveau des augmentations des salaires et d’autres programmes de relance.
4 mois pour faire tout cela, n’est-ce pas trop court pour un programme de relance aussi ambitieux?
Vous parlez des 4 mois pour le gouvernement de transition, mais en fait toute l’année se prépare maintenant. Nous travaillons pour toute l’année. Si nous ne lançons maintenant des actions pour assurer un minimum de croissance, l’année sera blanche. Nous ne ferons pas tout en une seule année, mais nous avancerons au maximum.
Rappelons tout de même que la croissance en Tunisie a été ces dernières années entre 4 et 5%, les conditions d’investissement dans le pays sont favorables, les réformes de la fiscalité et du secteur bancaire ont été salutaires pour le pays, ce qui a eu pour conséquence des performances économiques importantes qu’il faudrait tout de même reconnaître. Sous l’ancien régime, nous ne parlions pas de gouvernance et de réformes politiques mais les réformes économiques, nous osions en discuter car notre pays avait besoin de financements extérieurs.
Aujourd’hui, nos besoins de financement sont couverts et dans le meilleur des cas à raison de 75% d’épargne nationale et 25% de financements extérieurs. Ces financements, nous devons les mobiliser sur les marchés internationaux et auprès des bailleurs de fonds internationaux et ce n’est pas facile de le faire en l’absence de fondamentaux économique solides.