Reprendre la question de Michel Foucault qui l’a porté vers ses «reportage
d’idées» me paraît une évidence au vu de l’effervescence actuelle en Tunisie. A
peine exprimé, les réponses récoltées en une journée donnent matière à tous les
partis politiques du pays. Au lieu de lézarder au soleil ou de rester enfermés
dans des ambiances moisies, ils gagneraient à s’adresser à des citoyens en
attente. Par ces silences, ils communiquent de l’angoisse et démobilisent au
lieu de rassembler.
De bon matin, je commence ma journée chez mon marchand de journaux. Il s’étonne
que je m’étonne de pouvoir acheter le journal «l’Audace». On s’étonne aussi tous
les deux que les «beznessas» soient finalement, mais sûrement momentanément,
virés de la médina de Hammamet. Il en a coûté 3 heures de grève et de “dégage
attitude!“ Que voulez-vous! Il y a des jours où comme ça les choses se règlent
comme par magie!
Sur la plage, les amoureux du village se sont donné rendez-vous. Couples mixtes,
filles voilées, jeunes filles effarouchées, cinquantenaires grisonnant avec ce
qu’il reste de gros chéquiers. Ils veulent quoi? De l’amour, pardi! Les uns en
version eau de rose et mots tendres, les autres en version «tu me règles les
papiers et tu m’emmènes vivre en Europe, il y a trop de morts du côté de
Lampedusa» ou «viens chez moi, j’habite chez ma femme. Je peux toujours te
prendre en concubine». Pour les pros de l’amour, les temps sont durs, les
clients rares et les tarifs cassés». Il est temps que ce «khadaffou» “dégage“.
La politique, vraiment, ça se mêle de tout!
Que voulez-vous? Ah pour la Tunisie? Les rêveurs veulent qu’elle soit «à la fois
moderne, authentique et tolérante, où toutes les confessions religieuses peuvent
vivre en sérénité comme au temps de nos parents». Les fous de Dieu exigent
qu’elle devienne «radicalement respectueuse de tous les préceptes du coran. Tous
sans exception…». Les anarchistes appellent à un magistral «démolissions tout et
reconstruisons, de toutes façons il n’y avait rien de bon!».
Dans un café, un peu plus loin, les réponses sont aussi nombreuses que les
sensibilités et personnalités. Voir des jeunes jouer de la musique dans les rues
et peindre sur les places publiques, que les enseignants reprennent autant que
leurs élèves le goût à l’enseignement, que les femmes continuent à sa balader
sans chiffon sur la tête et que l’on respecte toutes les libertés, que l’on
puisse se promener en toute sécurité… Est-ce trop demander?
Parmi ceux qui veulent autrement, il y’a ceux qui veulent une bonne bouteille de
Vodka, un métier qui les mettrait à l’abri de la faim ou un toit pour se
protéger du froid. Si certains demandent plus d’intégration pour les handicapés,
ceux qui veulent interdire les sachets en plastique, réclament plus de respect
pour la nature et en ont assez de voir leur pays ressembler à «une décharge à
ciel ouvert» peuvent paraître plus légers…mais c’est précisément cela une
société qui revit.
Les pragmatiques veulent savoir où l’on est sur l’«emploi, la gestion de la
dette, l’investissement, la fiscalité, la décentralisation, l’immigration,
l’éducation, le tourisme, l’export, l’industrie, l’agriculture, la finance, le
système bancaire, les retraites, les avantages sociaux… Les vrais rouages de
la machine Tunisie quoi!» Les sceptiques qui refusent de donner des chèques en
blanc ne pensent à rien d’autres tant que les criminels restent impunis et
qu’une immense purge ne sera pas faite.
Les incrédules n’oublieront pas de préciser qu’ils veulent «trouver le moyen de
faire face à une éventuelle victoire de l’islamisme ou extrémisme de gauche aux
25.000 prochaines élections électorales». A sa manière, une «déjà déçue» de la
politique résumera: «Je veux du CONCRET. A ce jour, aucun parti ne semble se
décider à livrer son programme politique. C’est vraiment du grand n’importe
quoi!»
Pour conclure, c’est la sagesse d’un artiste de renom qui résume tout simplement
ces diverses vues en une phrase. «Transformer le regard de l’autre en un
dialogue serein» pour réapprendre à vivre ensemble loin de toutes formes
d’exclusions, d’injustices, de répressions. Comment ne pas décevoir les immenses
aspirations d’un peuple qui en attend tant? Comment convertir tous ces espoirs
en prospérité, croissance, production et cohésion sociale?
A sa manière et avec la fougue qui caractérise la jeunesse tunisienne
d’aujourd’hui, un jeune loup de la finance vivant à l’étranger répond: «Il y a
tellement de talents dans la culture, le sport, l’artisanat, l’informatique, le
design, la médecine, l’architecture,… Je ne m’inquiète pas. Notre potentiel
est énorme. Nous jeunes sommes prêts pour créer, recevoir, exporter, travailler,
s’engager, etc. Nous étions bloqués, bridés et démotivés par l’immobilisme
ambiant. J’avais honte d’être Tunisien. Je commence à comprendre ce qu’est le
patriotisme. On a enfin un pays! Nous devons juste faire gaffe de ne pas tomber
dans l’anarchie!».
Qu’auriez-vous pu avant? Que faites-vous maintenant?