A l’occasion de la journée internationale de la femme, un homme dit à sa femme:
«Tu peux laisser la vaisselle pour demain chérie, c’est pas grave… voilà ton
cadeau en cette heureuse journée» (propos d’un animateur d’une grande radio).
Drôle? Déplacé? C’est surtout très évocateur de la réalité de l’émancipation de
la femme, à mon avis, loin des strass et paillettes.
“Journée internationale de la femme”. Cela veut dire, implicitement, que la
cause «femme» devrait et aurait besoin d’être défendue, comme le patrimoine,
«journée internationale du patrimoine», ou comme la faim «journée internationale
contre la faim dans le monde», etc.
La femme est la moitié de la société. Ce n’est ni le patrimoine ni le problème
de la faim dans le monde. Et ce qu’il faudrait, c’est d’apprendre aux enfants
dès leur jeune âge que la femme et l’homme sont différents, bien sûr. Mais que
la différence ne signifie pas supériorité de l’un sur l’autre. Ou privilèges de
l’un par rapport à l’autre.
Or, j’ai bien peur que nous soyons en train de vivre non pas une émancipation,
fondée sur ce principe de l’égalité dans la différence, mais une espèce de pacte
des privilèges, pour les femmes. Et qui ne résout nullement le problème
d’égalité de fond.
L’émancipation réelle de la femme c’est d’arrêter d’apprendre aux enfants à
l’école que maman fait la vaisselle et papa lit le journal. Mine de rien, une
image mentale se forme chez le petit qui lit cette phrase et qui la copie sur
son cahier. Image mentale qui va le marquer, et qui plus est partagée par tous,
garçons et filles, ce qui va la rendre réellement pesante et donc dangereuse.
Chez le garçon ça va donner une quasi certitude que les choses doivent se passer
comme ça, il a beau être diplômé du supérieur, sa femme aussi, il va s’étonner,
le moins qu’on puisse dire, qu’elle lui demande de plier le linge tant dis
qu’elle met la table. L’homme va trouver ça «bizarre» voire honteux de changer
des couches bébé, de faire la vaisselle, etc. Jamais il ne fera ça devant sa
mère ou ses copains du foot. Et quand il l’aura fait, il va mettre des points au
débit de sa femme… et à la première dispute, il va le lui sortir: «Comment ça,
je suis matcho…?! Tu te rappelles l’autre fois, j’ai plié le linge quand
même!…Tu te rappelles oui! ….Vous êtes jamais contentes les femmes!». C’était
donc une faveur qu’il ferait pour sa femme chérie, pas une action volontairement
et sciemment consentie. Et c’est la vocation première et naturelle de sa femme
chérie… de changer les couches, plier le linge, faire la cuisine, la vaisselle,
etc.
Et chez la fille, c’est peut-être pire. Ces images mentales peuvent être source
d’une grande culpabilité, face à la difficulté de «jongler» entre vie
professionnelle et sociale, et vie de famille. Ou plutôt, disons entre le
travail de la journée, et celui du soir. La femme va hériter d’un dilemme
considérable, entre ce qu’elle a appris en grandissant, en allant à la fac, en
regardant des séries télévisées américaines et françaises, en sortant en groupe
avec ses amis… et ce qui est enfoui au fin fond de son inconscient, et qui fait
qu’elle culpabilise dès qu’on lui dit: «Ah mais tes enfants tu les
négliges…regarde-toi! Ta maison n’est pas bien tenue…! Et tu ne sais pas faire
la cuisine? Comment ça se fait? Comment es-tu «femme» alors?»
Ce sont des espèces de règles implicites qui s’esquissent et qui s’ancrent au
fin fond de notre inconscient collectif, et qui nous orientent inconsciemment,
pour tel ou tel comportement. Et même si la femme n’est pas concernée par ce
blocage, et qu’elle a grandi dans le bain de l’égalité réelle, eh bien, il sera
dans les règles et les représentations véhiculées autour d’elles, chez la
belle-famille, avec les amis, au travail, etc.
L’émancipation de la femme telle que nous l’avons vécue c’est deux fois plus de
responsabilités pour la femme, tandis que pour l’homme c’est juste la
«possibilité» accordée à la femme de faire des études comme lui, de travailler
comme lui, bref d’avoir une vie sociale et professionnelle comme lui. Mais la
deuxième vie de la femme, celle qui commence à 5h de l’après midi, entre
courses, cuisine, ménage et enfants, celle-là la passe sous silence. C’est en
cela qu’à mon avis, l’émancipation a été vécue chez nous sous la forme de sorte
de «privilèges» accordés à la femme. Alors qu’il devrait y avoir une réelle
redistribution des rôles sociaux, née du fait que la femme est entrée dans la
sphère publique, via le travail.
C’est toujours un exploit quand une femme termine son doctorat, ou atteint des
responsabilités élevées dans son entreprise. Exploit, parce que la majorité des
femmes peut le faire, mais seule une minorité y arrive. Et on se félicite et on
est heureux et on présente cela comme la preuve du succès de l’émancipation de
la femme…! On dirait une ferme pilote qui fait un bon rendement! Ce qu’il
faudrait, ce qui devrait être, c’est que toute femme puisse accéder au summum de
ses capacités dans le travail… que toute femme puisse avoir une vie sociale,
citoyenne et politique même. Le fameux plafond de verre ne devrait plus exister,
ou être le propre de la femme.
Je ne vois pas beaucoup d’émancipation dans la vie d’une femme qui se coupe en 4
entre travail, enfants, ménage et cuisine, et qui se néglige et s’oublie au
passage, avec un mari «invité d’honneur», qui mange à la maison, regarde la
télé, et au mieux donne des directives. Et oui Messieurs… l’émancipation que
nous voulons, c’est une pratique de tous les jours, c’est de partager les tâches
ménagères, comme l’éducation des enfants, comme les courses, etc. Puisque nous
participons à l’économie du ménage ensemble, et que nous travaillons tous les
deux… ou alors croyez-vous que nous sommes des superwomen faites d’acier et de
fer…?
A suivre…