Présent depuis trois ans en Chine, Poulina Group Holding (PGH) y produit depuis peu de l’huile d’olives, y recrute une partie de son personnel, y achète certaines de ses usines. Explications par son PDG de la stratégie chinoise de ce groupe parmi les plus importants en Tunisie et en Afrique.
WMC: Poulina Group Holding (PGH) est l’un des rares groupes tunisiens présents en Chine. Qu’est-ce qui vous a poussé à y aller?
Abdelwaheb Ben Ayed: Poulina Group Holding s’est implanté en Chine en 2008. Je connais la Chine depuis près de trente ans. Je m’y suis rendu pour la première juste après la révolution culturelle, désastreuse pour le pays, et sept ou huit fois depuis. J’ai vu les Chinois vivre dans des conditions absolument affreuses, puis amorcer, il y a une dizaine d’années, un développement absolument extraordinaire. Une sorte de nouveau miracle à l’allemande.
Mais à la différence de celui-ci, à l’impact régional, l’émergence de la Chine est mondiale et annonce de profonds changements à l’échelle planétaire. En nous y implantant, nous voulons en quelque sorte mettre la Chine dans le moteur de PGH pour le propulser plus haut et plus loin.
Poulina Group Holding a un taux de croissance de 25 à 30% par an. Nous voulons continuer sur ce rythme, mais nous ne pouvons pas atteindre cet objectif en Tunisie en raison de ses limites démographiques –une population de dix millions d’habitants seulement-, de sa petite superficie et de ses faibles ressources naturelles. Il nous faut donc trouver des relais de croissance à l’étranger, par l’exportation ou, mieux, l’implantation. Nous avons commencé par la première, mais nous recourrons de plus en plus à la seconde.
Quels projets entendez-vous réaliser en Chine?
Nous avons déjà construit une unité de conditionnement d’huile d’olives entrée récemment en production sur une partie du terrain de 3 hectares que nous avons acheté en 2008 à Shanghai. Bien entamée durant l’Exposition Universelle de Shanghai, la vente de notre huile d’olives se poursuit aujourd’hui dans les hypermarchés Carrefour et les collectivités. Certes, nous n’écoulons pour l’instant que de petites quantités, mais il n’y a pas de raison pour que nous n’occupions pas une très bonne place sur ce marché en Chine.
Nous envisageons aussi de créer une unité de mise en bouteille de vin. Car, ce pays, qui fabrique le plus de milliardaires au monde, commence à consommer. Mais nous ne sommes pas allés en Chine pour cueillir les fruits de cet investissement rapidement. Je voudrais que nous puissions collaborer mieux avec le mastodonte que ce pays sera dans quelques dizaines d’années.
Nos projets initiaux ont donc une autre finalité que le simple gain financier qu’ils ne manqueront pas de générer.
Lequel?
Le principal objectif qui leur est assigné c’est de nous permettre de comprendre le mode de fonctionnement du pays, c’est-à-dire les habitudes d’achat et de vente, le comportement des autorités, des employés, etc. Une fois que nous aurons compris tout cela, nous pourrons, plus tard, lancer de projets plus importants. Dans l’industrie mécanique, par exemple.
A titre d’exemple, Poulina Group Holding construit des usines de briques rouges, pour ses propres besoins, et pour ceux des pays africains.
Pensez-vous vous associer à des partenaires chinois pour réaliser vos projets futurs?
Nous ne nous interdisons rien. Il est très possible que demain nous puissions avoir un partenariat avec des Chinois pour travaille en Afrique. Nous nous y préparons. Mais pour l’instant, nous n’avons pas d’idée précise.
Vous avez commencé à recruter des Chinois que vous employez hors de Chine. Pourquoi?
Parce que nous voulons développer une très forte capacité d’intervention sur les marchés où nous sommes présents à partir de Chine. Où nous trouvons les hommes, c’est-à-dire des ingénieurs, des techniciens supérieurs, des agents de maîtrise, et de la main-d’œuvre non «basique» nécessaires à notre expansion à l’étranger, et qui sont de moins en moins disponibles en Tunisie.
En Tunisie, nous arrivons à subvenir à nos besoins dans les trois premières catégories, mais pour les ouvriers c’est plus difficile. Et ce sera de plus en plus le cas dans l’avenir, car, de plus en plus éduqués, les Tunisiens acceptent de moins en moins d’être de simples manoeuvres et aspirent à des niveaux de travail supérieurs. Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes en Algérie et en Libye, et le serions également demain dans des pays d’Afrique sub-saharienne.
Mais recruter en Chine, et, éventuellement, demain en Inde, au Vietnam, ou dans d’autres pays du Sud-est asiatique, présente également deux autres avantages. D’abord, en diversifiant les sources de recrutement, d’éviter l’arrêt de nos usines auquel nous sommes confrontés lorsque les ouvriers d’une usine viennent tous d’un même pays et célèbrent, de ce fait, les mêmes fêtes. Ensuite, cela nous évite les problèmes d’obtention de cartes de séjour auxquels nous sommes confrontés lorsque, par exemple, nous voulons envoyer des Tunisiens en Algérie.
Bien que l’image d’atelier du bas de gamme lui colle encore à la peau, vous achetez une partie de plus en plus importante de vos usines et équipements en Chine. Pourquoi?
Lorsque je leur ai demandé pour la première fois d’importer une partie de nos équipements de Chine, j’ai provoqué une levée de boucliers parmi les cadres de PGH qui voyaient dans ce pays une sorte de souk où l’on ne trouve que du bas de gamme. L’un de mes collaborateurs, à qui j’ai suggéré de chercher en Chine l’équivalent d’une usine de papier que nous avions l’habitude d’acheter aux Pays-Bas depuis vingt-cinq ans, m’a répondu qu’il n’allait pas acheter de la camelote chinoise à la place des «Rolce Royce hollandaises». Je l’ai quand même invité à aller en Chine voir ce qui s’y faisait, puis assumer ses responsabilités et faire le choix qui lui semble le meilleur. Il y est allé et depuis il est devenu un inconditionnel des usines à papier made in China. Car il a découvert que ces machines, qui tournent chez nous depuis trois ans, ont un rapport qualité-prix largement supérieur à celui des hollandaises.
Ici, en Tunisie, nous voyons la Chine comme une usine de sous-vêtements, de chaussettes, de chaussures, etc. Mais ce n’est là qu’une facette de ce pays. Les Chinois ont en effet débuté en fabricant des produits de bas de gamme. Mais l’Empire du Milieu est aujourd’hui le premier exportateur de matériel de haute technologie vers l’Europe. Pour accélérer son développement dans ce domaine, la Chine vient d’ailleurs de décider le démantèlement de dizaines de milliers d’usines obsolètes, spécialisées dans les produits bas de gamme et de lutter contre la contrefaçon. Car, à l’image du Japon des années cinquante et de la Corée du Sud des années 70, elle se considère désormais en mesure de développer de la technologie.
La Chine fait partie d’un ensemble qu’on appelle BRIC (Brésil, Russie et Inde). Après la Chine, envisagez-vous d’implanter un jour PGH dans les trois autres pays?
Pour l’instant, nous n’avons pas la taille, donc les moyens requis, pour cela. Mais maintenant que nous sommes en Chine, le reste de l’Asie devient très proche. Donc rien ne nous interdit demain de recruter dans un autre pays de la région, l’Inde par exemple, une certaine catégorie d’employés dont nous aurions besoin. Nous pourrions, également, nous installer un jour en Russie en tant que développeurs d’installations industrielles.