«La laïcité et la religion dans la Tunisie de l’après-14 janvier 2011», un thème qui provoque certaines sensibilités. Imagine-t-on une Tunisie laïque ou une Tunisie islamique ou tout simplement une Tunisie nouvelle? Le 1er forum du journal électronique Al Masdar.tn, organisé le 8 avril 2011, a tenté d’y répondre en invitant des acteurs du monde politique et associatif. Une première sortie en public de notre confrère, qui sera suivie par d’autres forums mensuels traitant de l’actualité économique et politique en Tunisie.
La tâche ne fut pas aisée pour les modérateurs du forum. Pour un thème aussi sensible, les points de vue divergent et les orientations idéologiques disparates. Le parti Ennahdha était représenté par Ajmi Ouerimi. Salah Zeghidi représentait l’Association pour la défense de la laïcité, et Mohamed Haddad, titulaire de la Chaire Unesco d’études comparatives des religions.
Religion et politique…
On remarque bien que dans cette période de transition démocratique, la religion est devenue un sujet favori. Lorsque le 14 janvier, des milliers de Tunisiens sont sortis dans les rues, on ne se souciait pas du positionnement de chacun, politique ou religieux. Mais voilà que le thème s’impose de lui-même, au moment même où on prépare la nouvelle Constitution. Le débat concerne le premier article de la Constitution qui stipule que «la Tunisie est un pays souverain, l’arabe est sa langue et l’Islam est sa religion».
Pour M. Zeghidi, cet article ne pose aucun problème s’il est pris dans son sens symbolique. Mais le problème réside, selon lui, dans ses répercussions sur les lois, ce qui est contraire à l’esprit démocratique et égalitaire qu’on voudrait instaurer en Tunisie. «Dans la Constitution, on indique que le candidat à la présidence doit être musulman. Le droit de la femme à se porter présidente n’est pas aussi clair. D’autres articles de lois sont inspirés de la Chariaa islamique et consacre l’inégalité entre les citoyens».
De son côté, M. Ouerimi estime que cet article devait avoir une dimension symbolique plutôt qu’une dimension matérielle, indiquant qu’il ne menace en rien les libertés individuelles. «Cet article nous a donné une identité. Il ne faut pas oublier également que la Tunisie est une République, un aspect qu’on oublie toujours. Mais je pense qu’il y a un consensus sur cette question. Et personne ne peut le contester», ajoute M. Oueridi. Pour M. Haddad, l’important actuellement est d’établir un consensus et de débattre la nouvelle Constitution qui doit consacrer la liberté de croyance.
Alors que les positions d’Ennahdha diffèrent entre un responsable et un autre sur la question de l’application de la Chariaa, M. Ouerimi indique que l’objectif est de fonder un Etat moderne et non pas un Etat religieux, un Etat civil et non un Etat théocratique. Il ne s’agit pas pour lui d’appliquer la Chariaa islamique, mais d’établir un consensus entre les différents acteurs nationaux afin de défendre les droits de chacun. La polémique sur le rôle des mosquées dans la propagande politique n’a pas lieu d’être. Selon lui, il faut consacrer la neutralité des mosquées qui doivent rester seulement des lieux de culte. «Nous ne nous considérons pas comme porte parole de la religion. Nous avons notre vision personnelle, qui pourrait ne pas être une vérité absolue pour certains. Je pense aussi que la légitimité du gouvernement se maintient des élections et non pas des textes religieux ou idéologiques», affirme M. Ouerimi.
Pour M. Haddad, il s’agit de couper avec la manipulation de la religion par les politiques. Dans la majorité des pays islamiques, il s’agissait d’un débat clos d’avance. La séparation entre la religion et la politique n’était pas toujours visible. Les régimes se sont servis pendant longtemps de la religion pour des finalités politiques. Et vice versa. La Tunisie n’est pas une exception. Après avoir incarcéré les membres d’Ennahdha, le président déchu a essayé de jouer la carte de la modération après un héritage bourguibien qu’il voulait anéantir. «L’Etat doit gérer seulement le côté administratif. Elle ne doit pas intervenir dans le côté rituel. Sinon, il peut intervenir dans la construction des mosquées, par exemple, pour éviter l’intrusion étrangère», souligne-t-il.
Un Etat laïc?
Peut-on donc parler d’une Tunisie laïque? Pour M. Zghidi, un amalgame a toujours existé entre la laïcité et l’athéisme. Un concept qui n’avait pas droit de cité dans le monde arabo-islamique. «Il faut comprendre que l’Etat laïc diffère de l’Etat religieux et l’Etat athée. La laïcité n’a jamais été contre la religion. On nous reproche de vouloir copier l’expérience française. Il n’en est rien puisque chaque pays a ses contextes», précise-t-il, en ajoutant que les membres de l’Association non reconnue du temps de l’ancien régime, ont toujours fait l’objet de poursuite. Il affirme que la séparation entre la religion et la politique est une exigence pour la survie de l’Etat démocratique.
M. Haddad estime que l’exemple turc est révélateur: «Ennahdha a une grande opportunité pour donner l’exemple dans le monde arabe. Notre révolution a été distinguée. J’attends d’Ennahdha qu’elle se distingue aussi par une réforme religieuse qui n’inclut pas la religion dans la politique. La Turquie a réussi sur ce plan. Aucune loi n’a été changée après l’ascension d’Erdogan. La religion ne s’est pas mêlée à la politique. C’est pour cela que je vous dis qu’Ennahdha doit jouer le rôle d’un pouvoir de contrôle et non pas d’un contrepouvoir».
Pour M. Ouerimi, Ennahdha est un parti politique et non pas un parti religieux. «Nous ne serons pas plus exigeants que les turcs dans l’application de la Chariaa et non moins exigeants dans l’instauration du modernisme. Ce que je peux vous dire c’est que notre parti ne cherche pas à appliquer la Chariaa islamique», insiste-t-il.
On peut se réjouir de ces déclarations d’un responsable d’Ennahdha. Ceci étant, les déclarations controversées de ce parti ne sont pas pour rassurer. Dans une période aussi critique pour notre pays, ce genre de positions a un impact sur l’équilibre social qui devrait être sauvegardé. Le peuple tunisien a toujours manifesté une certaine maturité dans la gestion des différences et dans l’instauration d’une culture de tolérance et d’acceptation de l’autre. Espérons qu’il la maintiendra…