Ce sont les couleurs que je distingue à peine dans la grande masse des étudiants assis sur les bancs de l’amphi. Mais aussi dans la rue, en général, quand je regarde la foule, ce sont ce genre de couleurs sans identités que je vois. Autant dire pas de couleurs. Remarque, j’aime beaucoup le gris, le noir ou le marron, mais en général je ne les mélange pas, parce que ca ne donne pas d’identité, je les mets avec d’autres couleurs, le marron et le bleu ciel par exemple, le gris et le rose, etc.
Par contre quand tu te promènes dans Paris par exemple, tu en vois de toutes les couleurs ! Tu vois du rouge, tu vois du gris, du vois du blanc, du vert, absolument de tout. Et les gens sont différents, chacun porte sa différence dans sa ou ses couleur(s)…
Et oui… Ce n’est pas qu’une banale question de couleur. La couleur est vie. Je pense que la singularité de l’individu commence là. Je pense que « l’émergence de l’individu » en tant qu’acteur différent de la foule, avec sa propre pensée, ses propres choix, et justement sa singularité, commence là.
Le vêtement est le premier vecteur de communication et d’identité de l’individu. A identité forte, correspondra une « posture » vestimentaire forte, ou disons affirmée. Avec un style propre, des couleurs qui incarnent un choix. Et ce par opposition à la-non couleur du gris noir marron mélangés. A non couleur correspond non identité à mon avis. Ne pas affirmer un style vestimentaire, un certain choix de couleurs, signifie de vouloir inconsciemment passer inaperçu, se fondre dans la foule.
Maintenant, l’extraordinaire évènement, et l’évènement historique, du 14 janvier, montre bien, à mon avis, que l’individu Tunisien du troisième millénaire, est acteur et maître de sa pensée et de ses choix. Il me semble alors que nous allons voir plus de vie dans nos rues, plus de couleurs et des choix plus personnels, plus singuliers de ce que nous portons, et donc de ce que nous voulons être…En effet l’habit fait bien le moine, surtout dans une société de l’image.
Il me semble que nous allons voir plus de vie en Tunisie, parce que l’extraordinaire individu Tunisien, vieux d’une civilisation trois fois millénaire, a toujours été pionnier dans le monde. Le relatif déclin que nous avons vécu, que ce soit dans l’histoire moderne ou avant…est dû, en grande partie, à la chape de plomb qui pesait lourd sur cet individu.
Et par qui ? Par des dirigeants assoiffés de pouvoir, et qui voulaient tous effacer l’individu, faire du peuple une masse inerte, « noir gris marron », qui applaudit et baisse la tête. Et pour cet objectif, ils sont capables de bien des stratégies, bien des ruses. Le foot tous les soirs à la télé, la chanson décadente et commerciale Egyptienne ou Américaine surtout, les séries télévisées qui ont un effet littéralement anesthésiant pour le cerveau (ils devraient d’ailleurs les utiliser dorénavant dans les cliniques !), et la liberté, seulement de sortir aller et venir, danser en boite et se souler jusqu’au petit matin…Voila tout ce que vous avez comme libertés, mais surtout n’allez pas pensez de vous-même, on pense pour vous, ne chantez pas de vous-mêmes, ils chantent pour vous et vendent des disques sur votre dos, haïssez bien l’école et les études, on est surs de vous garder loin du savoir comme ca, et n’allez pas vouloir disposer de l’argent public, surtout pas ! on s’en charge, on vous le garde bien au chaud, dans les étagères de nos placards. N’existez pas, seuls nous on existe.
C’était un mauvais rêve, allez ! Nous voila devant une Renaissance du « JE » Tunisien. Le « JE » retrouve sa liberté. Mais la liberté n’est pas seulement la liberté de choisir ses dirigeants, la liberté c’est un état d’esprit.
La liberté c’est ces rassemblements de jeunes qui jouent de la musique dans la rue. La liberté c’est cet air frais qu’on respire et qui nous fait sentir que tout est possible. La liberté c’est de s’assoir sur un banc public, dans un jardin public qui est propre et entretenu, et de lire le journal et de se dire c’est mon pays, c’est mon jardin… Ah ce qu’elle est belle la vie ! La liberté c’est cette envie d’aller à l’école et d’apprendre des choses, c’est cette envie de lancer sa boite en ayant foie et espoir dans l’avenir. Et le summum de la liberté, c’est de tendre la main à l’autre, ce que nous avons fait avec les réfugiés de Ras Jdir, c’est les initiatives libres et citoyennes vers les villes de l’intérieur. La liberté, c’est Amel Mathloulthi qui chante « ahna ahrar », symbole parmi d’autres, d’une nouvelle musique, la nôtre. Une musique qui parle notre langue, nos joies et nos soucis, et qui ne reprend pas un rythme Egyptien ou Américain, deux symboles de l’hégémonie culturelle en la matière à mon avis.
Ah ! Ce que nous sommes grands et fiers nous les Tunisiens ! Les Américains, les Français, et toutes les nations qui croyaient monopoliser la civilisation. Je dis bien la civilisation et non pas la croissance économique. Tous devraient se réveiller, et voir venir le nouveau dragon, non seulement économique, mais surtout culturel, Tunisien. Parce que tout commence dans la tête, dans les valeurs, et dans ce sentiment qu’on est libre, fier et digne, qu’on est l’égal de l’autre. L’autre, surtout et notamment la classe dirigeante. La nouvelle Carthage peut être, pour bientôt…
Exit « le noir gris marron ». La liberté c’est un état d’esprit. La liberté c’est la vie de l’esprit. .